Mathilde L’Azou est une photographe autodidacte qui, depuis son plus jeune âge, capture les précieux instants des courses cyclistes. Avide d’aventures humaines et d’histoires à raconter, elle sillonne la France, l’Europe et le Monde pour dénicher de nouveaux détails, de nouveaux regards, des moments d’euphorie ou de tristesse profonde, de joie immense ou de déception. On dit souvent que la musique est un langage universel. Quand on jette un œil au travail de la jeune finistérienne à la voix fluette, on saisit que le photographie l’est également.
Aujourd’hui, Mathilde est journaliste pour le service des sports de France Télévisions. Un profession qu’elle souhaitait exercer depuis son plus jeune âge : « J’ai commencé à mettre un pied dans le milieu du journalisme à 14 ans, en réalisant mon premier Tour de France en tant que « Jeune Reporter » ». En juillet dernier, elle entamait sa 4ème Grande Boucle. Du haut de ses 21 ans, la Bretonne a parcouru le globe et vagabondé sur les événements les plus prestigieux au monde : les Jeux Olympiques de Rio, Roland Garros, le Tournoi des VI Nations, le Critérium de Saitama au Japon… Des missions toujours accomplies boitier en main. Rencontre :
Propos recueillis par Camille Le Saux
Be Celt : Mathilde, comment en es-tu venu à la photo ?
Mathilde L’Azou : Je suis venue assez rapidement à la photo en fait, dès 2010. Frustrée d’avoir fait mon premier Tour avec l’appareil photo numérique de mes parents, j’avais demandé un Reflex pour mes 15 ans. Plus que de me lancer réellement dans ce milieu, mon but premier était de pouvoir illustrer moi-même les articles que j’écrivais…et d’avoir des souvenirs. Car on ne se rend pas compte quand on est externe à ce milieu, mais tout va très vite sur ce genre d’événements ! Et c’est important de garder une trace, une émotion, qui parfois ne peut pas être retranscrite à l’écrit. Et le souvenir de ce moment peut être moins exact, avec le temps… La photo elle, ne trompe jamais, et ne changera jamais. Voilà pourquoi je suis venue au début à la photo : pour les souvenirs qu’ils peuvent me procurer à moi, et à ceux qui eux aussi étaient présents ce jour-là.
Pourquoi le vélo ?
Je suis née dans ce milieu ! Mon père faisait du vélo, mais je n’ai aucun souvenir de lui (malheureusement), si ce n’est une photo de lui, en noir et blanc, qui est accrochée dans ma chambre d’enfant. Mon oncle en faisait, et c’est lui qui m’a transmis le virus. Mais je n’ai pas succombé à l’envie de prendre une licence dans le vélo, je suis allée m’exiler dans le monde de l’athlétisme ! Mais depuis 2010, le cyclisme a pris clairement le dessus. C’est plus que mon gagne-pain, c’est un état d’esprit, un mode de vie qui me correspond totalement. Et je suis heureuse de retrouver sur les courses les gens que je connais depuis toute petite, qui ont grandi en même temps que moi.
Qu’est ce que tu cherches à retranscrire à travers tes clichés ?
Ce qui s’est passé sous mes yeux, tout simplement. Je suis quelqu’un d’hyper sensible (demandez à mes amis, ils se moquent toujours de mon côté à fleur de peau), ce qui est plutôt un défaut, sauf pour la photo. Je prête attention à toutes les émotions qui défilent devant moi. Ce sont elles qui m’intéressent, pas les personnes et les palmarès qui se trouvent devant mon objectif. La colère, la rage, la tristesse, le bonheur, l’amour… qu’ils sont beaux ces sentiments quand ils ne sont pas contrôlés… C’est mon travail de les mettre en beauté, tels qu’ils sont, tels qu’on les ressent.
Qu’est ce qui fait la particularité – en terme d’image – du cyclisme ?
C’est un théâtre à ciel ouvert, un spectacle gratuit. Ce qui veut dire qu’il y a du monde sur le bord des routes, des paysages incroyables, qui varient tous les jours… La météo aussi est à prendre en compte. Et bien sûr il y a ces cyclistes. Ces champions qui, quelque soit leur niveau, sont de vrais modèles à photographier. Aucune course ne se ressemble, le défi est de retranscrire tout ça, cette odeur de galette-saucisse mêlée à la bière vendue par la buvette du coin, le brouhaha du speaker au loin, le fracas des roues sur les pavés, le cri de joie du vainqueur, le désespoir du second…
Comment aimerais-tu évoluer dans ce milieu…
Je ne sais pas, honnêtement. J’ai eu la chance de vivre déjà beaucoup de choses. J’ai réalisé le rêve de ma vie l’an passé, en faisant les Jeux. Maintenant, je n’oserais pas dire que toute nouvelle expérience est un bonus que je n’aurais jamais osé imaginer, mais presque. Je suis journaliste aussi, et j’ai quelques autres ambitions de ce côté aussi. Mais j’ai 21 ans, pour une fois je veux prendre un peu mon temps, et explorer d’autres univers, comme le rugby ou l’athlétisme. Et puis, je veux profiter de 2018 pour prendre un peu de temps pour moi aussi. J’ai passé des années à sacrifier ma famille et mes amis pour ce travail, mais il y a plus important qu’une carrière professionnelle. La fin d’année 2016 me l’a rappelée, je me suis pris une immense claque. Je ne l’oublierais pas.
Et vers d’autres horizons ?
Je ne suis pas une carrièriste. Je n’ai jamais établi de plan à l’avance. En revanche, je souhaite continuer à m’amuser. Ça a toujours été mon leitmotiv. Le jour où je sentirais que je commence à être blasée par ces déplacements, le jour où je ne mesurerais plus la chance que j’ai de faire ce métier, je m’en irais. J’irais apprendre autre chose, découvrir un autre univers.Tout simplement ! Pourquoi pas kiné, professeur des écoles, organiser des événements…on verra.
Ce qu’on retient souvent dans ton travail, ce sont les détails, des moments percutants et solennels à l’arrivée… Ce sont des photos prises au feeling ou c’est l’expérience qui te permet de savoir exactement où te placer ?
Un peu des deux je pense. L’expérience que j’ai acquise me permet de savoir de quel côté de la route me placer, ou quel coureur suivre en particulier. Mais c’est le feeling, l’intuition qui compte. Dans la photo sportive, tu n’as pas le droit de te planter, que ce soit pour une arrivée, ou l’émotion qu’il y a après, ou (malheureusement) une chute… Pour moi les meilleurs photographes ne sont pas ceux qui ont la meilleure technique, ce qui compte c’est ce que tu fais, comment tu te places, quel angle tu choisis… en quelques fractions de seconde, à peine ! Quelle adrénaline, à chaque fois…
Quelle course ou événement t’as le plus marqué ?
Le Circuit des 4 Cantons – Souvenir Etienne Fabre, en mars dernier. Mon plus beau souvenir de course, le plus dur aussi. Je n’ai jamais autant eu de mal à prendre des photos d’une course, et surtout à l’arrivée. Je n’ai pas encore les mots pour décrire ce qui s’est passé ce jour-là. Il m’a fallu beaucoup de temps pour digérer cette journée, pour trier les photos aussi. Mais je m’en souviendrai toute ma vie, et je pense que c’est le cas pour tous ceux qui étaient présents…
Sur le Tour, tu as fait cette photo de Romain Bardet, exténué, adossé contre le pneu d’un camion à l’arrivée de la 5ème étape à la Planche des Belles Filles… raconte-nous
Les arrivées d’étape sur le Tour, c’est souvent le grand bazar, surtout en montagne. Il faut imaginer : les coureurs arrivent un à un ou en petit groupe. Ils ont roulé pendant sept heures, ils sont exténués. Le soleil tape fort, on avoisine les 40 degrés. Et puis il y a ces 700 journalistes et photographes, montés en navette, qui encerclent le maillot jaune et le vainqueur du jour. Ça mitraille, ça court pour les interviews entre ces coureurs qui suffoquent, qui se réhydratent… Le bazar quoi ! Et puis là, Romain Bardet arrive. Vu qu’il a franchi la ligne en même temps que le maillot jaune, aucun objectif n’est braqué sur lui. Je le vois qui s’assoit, et qui ferme les yeux, exténué. Par respect pour les coureurs, je shoote toujours avec une certaine distance, pour ne pas les agresser, pour les laisser respirer. Pour qu’ils ne remarquent pas ma présence aussi, et qu’ils restent naturels. Là je suis à cinq mètres de lui. Je prends deux photos. Et je m’en vais. Pas besoin de plus pour retranscrire ce moment d’humanité, si rare dans ce grand spectacle qu’est le Tour.
Comment as-tu vécu cette Grande Boucle justement ?
C’était mon quatrième Tour de France, aussi je commence à connaître un peu l’envers du décor. C’était incroyable. Le Tour, c’est une petite ville de 5000 habitants qui se déplace chaque jour dans toute la France (voire l’Europe, on a fait cinq pays cette année quand même). C’est une bulle frénétique, où tu quittes ton hôtel à 8-9h du matin, pour retrouver une nouvelle chambre le soir, après l’étape, vers 23h-minuit. Entre temps, il y aura eu un Village départ, une arrivée, une émission de l’Emag 360 à tourner, l’équipe Cofidis à filmer, des photos à prendre, des images à envoyer, un restaurant à trouver, et généralement entre quatre et cinq heures de voiture. Tout passe tellement vite. Mais l’atterrissage, le retour à la vie réelle, est toujours bien compliqué. On a tellement de chance d’être sur cet événement pendant ces trois semaines, c’est une vraie fête…
Quel souvenir restera pour toi le meilleur sur ces 21 jours ?
Difficile à dire… Sportivement, je crois que c’est l’étape de l’Izoard qui m’a le plus marqué. Déjà rien que pour y aller c’était la galère ! On a dû se garer à trois kilomètres de l’arrivée, dans la pampa, entre des caravanes et les roches qui ne faisaient que se décrocher de la montagne… L’aventure quoi ! Et puis en haut, aucun réseau, rien, pendant sept heures ! Sept heures à être parmi les supporters, à regarder l’écran géant, allongée dans l’herbe, à attendre l’arrivée… C’était beau, y a pas d’autres mots ! Et puis avec Barguil qui gagne en plus… Oui, sportivement, c’était vraiment beau. Après des souvenirs, des rencontres… Il y en a eu tous les jours, c’était fou ! C’est la folie du Tour.
Depuis toutes ces années à sillonner les courses, quelle photo demeure pour toi la plus mémorable ?
Arf, la terrible question ! Voilà sept ans que je prends des photos. Sept ans, où je fais en moyenne entre 40 et 80 jours de course. Donc, je dois avoir dans mon disque dur plus de 50 000 photos… S’il ne fallait en choisir qu’une, si j’écoutais mon coeur, je choisirais ce portrait de Pierre Idjouadiene et d’Etienne Fabre. Ce n’est pas la plus originale, ce n’est pas la plus propre techniquement parlant… Mais c’est celle qui me touche le plus. On sent tellement de bonheur, d’amour, de sincérité… Un peu d’insouciance aussi. Un moment simple, mais beau, capturé avant un départ, entre deux plaisanteries. Je sais qu’un peintre l’a reprise, pour en faire une toile. Oui, si j’écoutais mon coeur et non mon avis de photographe, je prendrais celle-ci.
Portfolio :
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