« Ce soir, je regarde ce feu rouge et éclatant dans l’âtre de ma cheminée. La télévision est éteinte depuis bien longtemps, depuis ces infos devenues anxiogènes après deux ans de satané covid, de restriction de liberté, de courbes de mortalité, d’interdiction. Puis une semaine après la « fin » du virus, les images de cette guerre atroce en Ukraine défilent sans cesse, ce pays si proche. On ne trouve pas les mots, on réalise que la vie ne tient qu’à un fil dans un monde devenu dingue. On se dit que nous autres, loin de là, on a cette incroyable chance de vivre et surtout celle de vivre nos rêves!
Dehors, il fait donc bien froid mais dans mon coeur il fait chaud entouré par les miens. Je regarde ce bois qui se consume lentement. J’ai toujours aimé cette essence. Il est différent du marbre figé dans le temps, cette pierre que l’on retrouve dans les cimetières. Le bois, lui, vit, grandit, vieillit, il raconte une histoire et quand il brûle, même dans sa mort, il réchauffe le coeur, l’âme, la gueule et les corps. J’ai toujours comparé le bois à la vie. Il me fait un bien fou ce soir..
Continuer à rêver, une lutte pour notre jeunesse désormais. Je rêvais de musique et de devenir chanteur comme Johnny Cash
Tout petit, ma première « gratte » était aussi en bois. Je l’avais fabriqué moi même et je rêvais d’être un chanteur comme l’était Johnny Cash. J’avais des rêves étant môme, j’ignorais alors que ce serait un luxe d’en avoir pour la jeunesse en 2022…
Puis le vélo est entré dans ma vie. Je ne saurai jamais expliquer pourquoi j’ai aimé de suite cet objet fait pourtant de métal et cette sensation de liberté qu’il m’apportait. Je voulais tracer mon chemin et très vite. Je voulais entendre mon coeur battre très fort, me tirer loin de tout, grandir et me sentir vivant.
Je pense alors à cette jeunesse d’aujourd’hui que l’on piétine à grands coups de pompes dans la gueule, étouffée par des lois, d’interdiction et qui vit toutes ces merdes, ces atrocités, ces gamins qui regardent leurs parents cravachant pour ramener la gamelle à la maison… Il leurs faut aussi du rêve à ces jeunes, leurs montrer que ce monde n’est pas tout à fait merdique malgré tout. Il faut qu’elle vive et qu’elle trouve cette magie dans cette inertie morose.
VIVRE
Un jour un poète de la vie est venu frapper à ma porte… Il se nommait Monsieur Jean De Gribaldy. Il m’a beaucoup causé de cette vie, de son sens, des exploits de champions, de ce « drôle » de métier de coureur cycliste. Il savait toucher le coeur des hommes, il savait lire l’être humain. Je l’ai écouté attentivement et je suis alors devenu coureur pro en 1985. La même année, j’avais 22 ans, je claquais une étape sur Paris Nice et portais le maillot de leader que j’avais chopé à Alan Peiper. Quelques mois plus tard, je participais à mon premier tour de France. En 1985, j’ai mis le feu au peloton, je vivais même si le Grand Bernard Hinault m’avait remonté les bretelles et Jean De Gribaldy avait raison…
J’ai toujours aimé l’attaque, le raid solitaire, foutre le boxon et le dépassement de soi. A cette époque, ce n’était pas un compteur électronique qui nous dictait notre façon de vivre, respirer, bouffer ou juste quand chier… En ce temps là, nous étions libres et les coureurs roulaient avec la rage, l’instinct et ce coeur. Ils auraient affolé les compteurs de cette époque 2.0 je pense…
Si j’avais obéi à un morceau de plastique de 7 centimètres sur 4 et un « directeur de la performance » qui n’avait jamais posé son cul sur une selle ou un DS bardé de diplômes issu d’un lycée, je n’aurai jamais eu cette carrière et on n’aurait peut être jamais misé sur moi. Je n’aurai pas voulu être coureur non plus dans ce monde je pense.
Avec juste mes tripes et un entourage qui croyait en moi, j’ai claqué des étapes comme sur le Tour de France, sur Paris-Nice où j’ai même porté le maillot de leader, sur le Midi Libre, sur Tour de la Communauté Européenne, sur Nissan Classic, le Grand Prix d’Aix en Provence (qui était pro à l’époque) et quelques autres. J’ai surtout gagné car on croyait en moi et on me laissait m’exprimer. Le cyclisme a rendu mes rêves réels.
Etape et maillot de leader sur Paris en1985, j’avais 22 ans et des rêves plein la tête
Je servais pourtant l’une des plus grandes légendes du peloton: Monsieur Sean Kelly surnommé KING Kelly. Il avait déjà 4 Paris Nice, un Paris Roubaix, un Liège Bastogne Liège, quelques maillots verts et des étapes du tour de France, de la Vuelta. Et là, en ce jour du 7 mars 1985 sur Paris Nice, moi le jeune branleur me retrouvait alors dans une échappée avec mon leader qui visait pourtant un 4ème Paris Nice. je me rappelle des relais que l’on prenait, ils étaient longs et puissants. Puis Sean me regarde et me dit: « vas y gamin, elle est pour toi, tu as les cannes ». Jean De Gribaldy vient alors à ma hauteur et me lance: « C’est toi qui pars seul, tentes ta chance si tu l’oses« . Et là je suis parti seul pour l’emporter avec une dizaine de secondes d’avance sur Vichot et Mottet. En prime j’endossais le maillot de leader du général. Mon leader s’était mis à la planche pour ma gueule de jeune premier. Un souvenir que je n’oublierai jamais de la part d’un Grand (homme comme champion) qui se nomme Monsieur Sean Kelly.
C’est ça le vélo, cette confiance placée envers un jeune de la part de son leader et de son équipe. Quand j’ai arrêté le cyclisme, on commençait à parler de « train » et de places, de calculs et de suites de mathématiciens à la « mord moi le noeud », des paroles de profs bardés de diplômes d’EPS mais qui n’avaient jamais bastonné chez les pros, de directeur de la performance qui n’avait, lui même, jamais performé… Je n’avais plus ma place, je ne me sentais plus libre dans ce cyclisme « moderne » et mon coeur battait moins fort.
Cette jeunesse et ces équipes étrangères réinventent le cyclisme
J’ai donc coupé avec le monde du cyclisme durant 20 ans, histoire de revivre ailleurs, de retrouver le feu. Mais ces cinq dernières années, mon coeur de coursier s’est remis à battre. J’ai vu du beau et du grand cyclisme. J’ai vu des gamins comme Mathieu van der Poel,Wout van Aert, Tom Pidcock, Egan Bernal, Remco Evenepoel ou encore Tadej Pogacar. Ces gamins gagnent déjà les plus belles classiques, les plus Grands Tours, remportent des titres mondiaux devant les éternels espoirs. Je retrouve en eux cette hargne qu’avait Kelly, Lemond, Hinault, Merckx ou Coppi à leurs âges, cette furieuse rage de vivre et ce coeur qui bat comme un dératé.
Julian Alaphilippe avec ce coeur qui bat si fort qu’il ne peut totalement être dompté
Un gamin avait ça chez nous en France mais personne n’en a voulu. Allez demander à l’adjudant chef Lima Da Costa le mal qu’il lui a fallu pour convaincre les « Grandes » équipes Françaises pour recruter Julian Alaphilippe… Personne n’en voulait, c’était un électron libre et il n’était pas issu de cette diaspora « made in France ». Il venait de l’Armée de Terre, ce team jamais reconnu par les équipes Françaises mais qui savait faire battre les coeurs. Pourtant ils sont combien de champions issus de cette équipe? Julian s’est tiré en Belgique. Eux l’ont écouté, eux lui ont parlé, et surtout Patrick Lefevere (ancien champion pro) lui a fait confiance, le gosse était heureux. Jamais Julian Alaphilippe n’aurait été « LOULOU » si il avait été recruté par un team Français, jamais on ne lui aurait laissé la chance de s’exprimer, son coeur bat si fort pour être totalement être dompté.
Il n’y a pas que lui. Regardez nos Français partis à l’étranger! Christophe Laporte se découvre avec la Jumbo Visma et me redonne l’envie de regardez de nouveau Paris Nice, Florian Sénéchal est ce putain de coursier au rictus rageur au sein du WolfPack qui va claquer sur les terres Belges, Rémi Cavagna va nous chercher des victoires en costaud, en prenant l’initiative et toujours avec cette confiance accordée! Ces gars là nous font du bien à la gueule, à nos rêves de gosses qui continuent d’exister.
Ces Français là, partis à l’étranger, nous font aimé de nouveau le cyclisme en France…
Dans les équipes étrangères, l’homme passe avant les données, les stats et les machines. Certaines sont même capables de miser sur plusieurs disciplines, tant que l’homme est heureux. C’est ça plus important pour la gagne et la spirale positive.
L’esprit des équipes Françaises
37 ans, 37 longues années qu’un Français a gagné le Tour. Depuis, plus rien… Et pourtant, on nous présente toujours dans la presse Française un jeune qui a gagné le Grand Prix de Trifouillis les Oies ou une étape de Grand Tour comme le futur remplaçant à Mr Hinault…. Parfois, on le présentait même devant Bernard en lui disant que c’était sa relève… Il devait en sourire…
Mais on a des excuses dans les médias et pour ceux qui ne vivent qu’en crachant sur la gueule les autres. Si les Français ne gagnent pas c’est tout simplement que tous les autres, les étrangers, sont dopés (sans preuve bien sûr, une méthode bien française pour éviter de se remettre en question. A l’opposé, jamais ils ne critiquent un team Tricolore même quand celle ci se fait rattraper par la patrouille). C’est sûr, c’est la plus belle manière de faire revenir nos jeunes au cyclisme…
Non, si on ne gagne pas c’est que les DS et que les jeunes ne sont plus écoutés. Désormais, c’est la presse qui désigne les champions, les politiques en costard cravate aux pompes rutilantes, les managers et les sponsors suivent le pas car la « star » possède une image médiatique. Les autres, on leur demande d’être des équipiers et de rester au garde à vous, les doigts le long des coutures. On leur promet que leur chance viendra plus tard mais finalement on connait tous la fin…
Pire, on demande à un mec bardé de diplômes, que l’on nomme Directeur de Performance (je n’ai jamais capté ce job), de désigner celui qui sera le leader pour la saison (selon les ordinateurs) alors même qu’il n’a pas encore roulé un kilomètre sur une course pro. Mais qu’est ce qu’il connait de l’humain ce directeur de performance? Qu’est ce qu’il connait de la rage, de l’envie, de la souffrance sur un Paris Roubaix ou un Tour de France? Où et quand a t-il performé lui même ?
Accorder la confiance aux jeunes et aux Directeurs Sportifs
Alors que dans les bagnoles, il y a des mecs comme Philippe Mauduit, Yvon Ledanois ou Lionel Marie qui savent lire l’homme au delà des chiffres tirés de ces ordinateurs et autres machines, des gars qui savent lire une course le jour « J », des anciens qui savent ce qu’il va se passer avant même le départ. Et pourtant, on les bride. Ces DS ne parlent pas aux journaux, les vrais n’aiment pas vendre du rêve. Les vrais DS préfèrent faire des rêves des réalités mais encore faut il les laisser faire et les entendre. Ce cyclisme tricolore ne sait plus s’écouter, il n’écoute plus ceux qui connaissent l’Art.
Désormais, on désigne un leader qui n’a pas gagné depuis des lustres mais qui fait toujours la une de ces médias en manque de relève (donc une forte image publicitaire). Et on demande à des jeunes loups de devenir des caniches et de se sacrifier. Alors que ces louveteaux, si on leurs accordait un poil de confiance, ils nous montreront qu’ils ont les crocs et tout autant la dalle avec les capacités pour aller titiller les plus grands. De nombreux jeunes avaient ce « truc » en eux, mais on les a foutu dans une case, enfermés dans une boîte. Je pense à Léo Bouvier, Léo Vincent et beaucoup d’autres qui avaient cette rage, cette flamme et pourtant…
Il nous faut faire rêver les gens et les jeunes dans ce monde qui devient dingue. Le cyclisme doit apporter ce moment où l’on débranche tout, où l’on oublie le covid, la guerre, la machine, les fins de mois et cette putain d’angoisse. Les gens veulent du spectacle avec des héros et surtout pas des calculs de mathématiciens ou des comptes d’apothicaire, ni des héros de presse, les gens (jeunes et moins jeunes) veulent du rêve! Et pour cela, le peuple a besoin d’un champion qui se donne quitte à tout perdre, pas d’un 8ème ou d’un 15ème d’un tour de France.
Le « métier de coureur pro », le rôle de sa vie
Pour ces diverses raisons, être coursier pro n’est un métier comme les autres. Ce « job » apporte du rêve mais sa durée est éphémère, le temps d’un privilège accordé. Quand on devient coursier pro, il faut continuer à devenir celui que vous vouliez être étant gosse et non pas ce gars à la recherche de la paye et du contrat à long terme (sinon la fonction publique recrute pour ceux qui recherchent la pérennité). Etre coursier c’est rêver et faire rêver. Oui il faut rester debout dans sa vie mais à n’importe quel prix et surtout ne pas sacrifier son instinct et ses envies les plus essentielles.
Du berceau à la tombe, c’est dur pour tout le monde. Il faut oser vivre pour ne rien regretter! Il faut oser aller vers son destin. Quand le rideau commencera a tomber, vous regarderez vous aussi ce feu dans cette cheminée et vous vous direz pour certains : « Si j’avais eu les couilles à l’époque« . Mais ce feu ne vous réchauffera plus jamais l’âme.
Pour les autres, à ce moment là, vous vous souviendrez alors d’une course de jeunes dont vous étiez un spectateur aux tempes grisonnantes, et vous réaliserez que vos exploits seront toujours vivants, que certains de ces gamins ont rêvé grâce à vous. Que la vie des « héros » qui ont osé est inspirante pour les générations futures et contemporaines. Alors soyez ces héros même si vous ne décrochez pas la lune mais seulement les étoiles. Ils vous remercieront et vous, touché par les regards de ces gosses, vous vous direz que votre vie est belle au final, vous sentirez de nouveau votre coeur battre et qu’il fait bien bon près de ce feu ce soir, tout près de la photo de Monsieur Jean De Gribaldy ! »
JOEL PELIER