Non ce n’est pas un cross du SuperPrestige, ni l’un de ces dignes labourés bataves, flamands ou wallons. Non, ce n’est pas un cross de légende (du moins pas encore) mais simplement celui d’une bande de potes, de passionnés, là bas en Normandie.N’allez pas chercher un Wout van Aert, un van der Poel, Aerts ou un Iserbyt au départ. Sur ce cross de Sérans dans l’Orne (samedi 20 novembre) ce sont plutôt Jérémy, Ludo, Pierre, Paul et Jacques qui seront au départ. Mais ce labouré possède un véritable cachet: il sent le vin chaud, la frite et le barbeuc, ces effluves mélangées dans cette épaisse chaleur humaine et chaude, celle venant des coups de coeurs, de coups de gueules, de coups de mains, de l’amitié, celle de la passion d’une bande de potes emmenéee par le gars du Pays Mickael Leveau.En ces temps de misère pour le cross Français, du Jura en Bretagne tout en passant par la Normandie, il y a encore des gars qui se lèvent tôt le matin (avant d’aller pointer à l’usine) pour aller planter des « putains » de troncs de bois pour que la fête se tienne debout, fière et arrogante, contre les vents mauvais. Ces cross là sont simples et généreux tous comme les âmes de ces passionnés qui harmonisent ce joyeux bordel, ils sont de ceux qui donnent un avenir pour nos gosses.Les « costards cravates », pompes cirées et langues politiciennes, aiment à dire (seulement dans les médias) que le cyclisme doit revenir au pied des églises, au centre des villages. Mais ces derniers sont pourtant les premiers à ignorer les complaintes venues de nos campagnes dont le glas sonne du haut de ces églises, celles de nos clubs de bénévoles.Mickael Leveau et les siens n’ont pas attendu la descente de l’Archange Saint Michel pour sauver ce qu’il reste à sauver. Lui pourtant Directeur Sportif du team pro Roubaix Lille Métropole, coach de plusieurs coureurs pros, pourrait se faire tout petit et tracer son chemin en ignorant d’où il est parti comme le font de nombreux autres. Mais chez les Leveau, le mot « chacun pour sa gueule » n’a pas sa place. Le fils du Cannibale Daniel Leveau (tout comme son frère Jérémy) est un gosse de la terre et un représentant de ces valeurs. Il sait que si l’on ne sème pas les graines en cette saison, on ne verra alors jamais les fruits d’une récolte dans les années à venir.
Donc, loin des gens de la ville de Saint Quentin en Yveline où l’ont porte des pompes cirées et non des bottes, les Normands ont monté leurs fêtes dont celle de Serans, là bas, dans l’Orne.
Quand j’étais gosse, on allait aux courses comme on allait à la messe
Mickael Leveau, pourquoi s’entêter à monter un cross durant cette période de crise?M. Leveau
: » Ben justement, c’est là qu’il faut le faire je pense, non pas pour toi? Bon, c’est sûr, ce n’est pas un grand cyclo-cross ou une coupe de France mais il a le mérite d’exister ici à Sérans, pas trop loin d’Argentan et d’Alençon. C’est la première édition. On dit souvent que le cyclisme doit revenir dans les villages mais si personne ne se bouge, comment veux tu qu’il revienne et que les gosses le découvre? Il y en a plein des bénévoles qui se défoncent encore à travers la France, qui ne baissent pas les bras. Pourquoi Sérans? Parce que c’est ma terre, je suis natif de l’Orne, j’ai grandi dans ces villages et j’ai fait mes premiers coups de pédales sur ces routes Normandes. Je me souviens que tout gamin, j’allais voir les courses et cross de dimanche comme on va à la messe. Je ne connaissais pas les noms de ces Saints champions mais j’étais émerveillé de leurs prêches. Du coup, quelques décennies plus tard (rires) je veux aussi rendre la pareille et montrer ce que j’ai connu à nos jeunes.
Le cyclisme vient de ce monde rural, c’est son ADN
Si tu emmènes les courses et cross dans les villages, les jeunes vont venir et certains vont même en faire leur sport plus tard en rêvant de devenir pro. Les champions comme Sagan, Alaphilippe ou van Aert ont tous débuté par des cross et des kermesses de villages. C’est de là que tout vient, il ne faut pas oublier cette base, il ne faut pas la snober. Le cyclisme vient de ce monde rural, c’est son ADN »
Pourquoi Sérans et pas ailleurs dans l’Orne?
« Il y a déjà celui d’Alençon, de Bagnoles de l’Orne, c’est pas mal pour le département de l’Orne non? Comme je te l’ai dit, je connais la commune et elle me soutient dans cet événement. Ensuite dans mon pays d’Argentan, tout le monde s’est retroussé les manches pour ce samedi. Les bénévoles et les coureurs de l’UCPA d’Argentan s’échinent vraiment pour que cette fête soit belle afin d’ en faire un bon souvenir pour tous. Ils sont tous comme moi, heureux et fiers d’organiser ce moment »
Des lots pour les participants, histoire de garder des souvenirs
Comment t’es tu débrouillé pour le monter?
« D’abord, j’ai reçu l’aide du comité des fêtes de la commune de Sérans et de l’UCPA d’Argentan. Ensuite, ca coûte 1 500 euros environ pour le monter. Puis j’ai été voir les équipes pros pour avoir des lots pour les jeunes qui vont prendre le départ. C’est toujours sympa de recevoir un bidon, des casquettes ou tout autre souvenir d’équipes pros. J’ai demandé aux gens du staff de mon équipe Roubaix Lille Métropole, de TotalEnergies ou d’Arkea Samsic entre autre. Tous m’ont donné quelques trucs. Ce seront des lots distribués aux participants, histoire de garder des souvenirs. »
L’importance des sponsors locaux
« On va aussi offrir les produits du savoir-faire Normand comme le cidre et le fromage. Les agriculteurs et le monde rural ont toujours soutenu le cyclisme, Et c’est sympa de faire découvrir les produits de notre terroir durant l’événement. Ces acteurs sont très importants pour l’avenir du cyclisme, les sponsors locaux permettent aux bénévoles et aux jeunes de continuer. C’est ce monde là que j’aime aussi. Ca sentira le vin chaud, la frite et le barbeuc, comme quand nous étions gosses. »
Les « stars », ce sont les bénévoles
Pas de stars au départ?
« Si , les stars ce sont eux tous. Ces bénévoles qui se plient en 4 et ces coureurs qui prendront le départ font aimer le vélo à nos jeunes. Ce sont des stars ce jour là car sans eux tu ne peux rien faire à l’avenir, tu leurs doit tout. Ca reste un truc monté entre potes et passionnés. Il y aura mon père Daniel (Daniel Leveau « le Cannibale » avec ses 863 victoires) et Raymond Martin (vainqueur d’étape sur le Tour de France et meilleur grimpeur du tour de France 1980) qui vient encourager ses deux petits fils. Il y aura aussi Jérémy mon frère (pro chez Roubaix Lille Métropole) et tous les autres et des amis qui veulent passer une belle journée avec tous ces jeunes issus des écoles de vélos. On veut leurs donner envie d’ aller plus loin à l’avenir, d’aller voir ce qu’il se passe ailleurs qu’en Normandie. »
On te connaissait coach, DS, compétiteur mais on connaissait moins ce côté proche des bénévoles et de ton club d’Argentan
« J’aime la compétition, j’aime la gagne. Ce cyclisme, j’en ai fait mon métier. C’est sûr, je suis dans le monde pro et je suis aussi pilote pour ASO. Quand je vois ces gamins au bord des routes, sur le tour de France ou sur les autres courses, encourageant les coureurs, tu vois qu’ils ont cette flamme dans les yeux et elle te réchauffe le coeur, ça te fait du bien à la gueule. Les jeunes sont notre avenir.
Et le monde des bénévoles est très important pour permettre à notre jeunesse de conserver cette lueur. . Ces gamins, ils vivent dans les campagnes, sur les côtes, dans les villages et les bourgs. Si tu ne leurs apporte pas ce cyclisme, ils perdront cette flamme qui réchauffe notre monde. C’est grâce aussi à tous ces bénévoles à travers la France comme ceux de l’UCPA d’Argentan que le cyclisme existe encore et c’est à nous, le monde pro, de leurs rendre la pareille, de le faire rester toujours aussi populaire au son des cloches de ces églises de villages. »