Plus de 190 pays diffusent le tour de France, ce qui en fait le 3ème événement sportif au monde derrière les Jeux Olympiques et la coupe du monde de football. Sa date (au mois de juillet ) lui permet, bien sûr, une place idéale en plus d’offrir des paysages magnifiques au monde entier.
Parmi tous ces pays, l’Irlande s’est mis aussi à le diffuser. Elle ne le faisait pas sous l’ère de Seamus Elliot ou celle de Stephen Roche et de Sean Kelly. Ce n’est que depuis 15 ans (2006) que la verte Erin a commencé à le diffuser en direct. Auparavant, les Irlandais regardaient la Grande Boucle sur les chaînes Britanniques ou le soir durant les informations nationales. Le cyclisme n’était pas encore populaire au pays du rugby et du foot gaelique. C’est donc par TG4 (TG Ceathair), la chaîne public du groupe RTE (Radio Television Eire), que les Irlandais découvrent désomais les route de France. TG4 diffuse bien au delà de ses frontières et de nombreux américains d’origine Irlandaise la regarde régulièrement en écoutant les voix de Padraic Quinn, Paidi O’Lionard et Pat O’Donnell.
La particularité de cette diffusion est qu’elle est commentée en Gaelique (Langue nationale Irlandaise, bien avant que les anglais ne l’interdise durant des siècles) et…. en anglais. Deux hommes sont aux micros aux studios de TG4, situé dans le Connemara au Comté de Galway, avec Padraig Quinn et Paidi. Sur le terrain, une petite équipe (avec le Breton Jean Vantalon) réalise quelques vidéos et interviews de coureurs, d’acteurs du secteur du tourisme, d’élus de différentes régions, etc… L’Irlande aime la France et le Tour de France a aimé l’Irlande en lui offrant un départ à Dublin en 1998 avec l’aide de Pat McQuaid.
Mais en Irlande, le vélo n’est toujours pas le sport Roi même si Sam Bennett a remporté le maillot vert et de belles étapes sur le dernier tour. Mais de plus en plus d’Irlandais pratiquent désormais cet art. Notamment pour la santé (50 % de l’achat d’un vélo est remboursé par le gouvernement en ce sens), pour le tourisme mais aussi pour se tirer la bourre le week-end entre potes, histoire d’avoir de quoi causer derrière une bonne pinte le soir venu.
En Irlande, ce n’est pas encore le pays du cyclisme mais c’est celui des héros des sports Gaeliques et du rugby. C’est aussi l’île où la culture est reine comme la littérature, la musique avec des groupes de légendes comme U2, Van Morrison, Gary Moore, le cinéma avec des acteurs comme Liam Nielson, Pierce Brosnan, Michael Fassbender, Jack Gleeson (Games Of Thrones), tous devenus des stars planétaires.
Mais là bas, les divas même internationales qui ont le « melon » retrouvent vite les pieds sur terre et on leur fait comprendre que ce fruit rempli d’eau ne se cultive pas dans les tourbières, les sols du Whiskey et de la Guinness, ces breuvages qui se partagent entre amis au pub. Alors si vous traînez du côté de la Ville des Arts de Galway, ne vous étonnez pas si la « gueule » du type vous dit quelque chose, il sera juste un pote de comptoir venu mater l’arrivée de l’étape du tour de France après sa journée de boulot, rien de plus! C’est ça l’Irlande: simple, sincère, dure, accueillante, chaleureuse, humide, pays aux couleurs des plus vives aux plus noires, une terre de tous les contrastes.
Padraic Quinn, vous commentez le tour de France et d’autres épreuves mondiales sur TG4 (chaîne publique irlandaise). Depuis combien de temps l’Irlande s’intéresse t-elle au tour de France?
« On est sur le Tour de France depuis presque 15 ans. On a acheté les droits de télévision en 2006 je crois. On avait le packaging total à l’époque avec Paris Roubaix entre autre. Mais on n’a acheté ces droits rien que pour le Tour de France. Paris Roubaix a lieu durant le mois d’avril et là nous sommes en pleine période des phases finales du championnat de Football Gaëlique, notre sport national qui rassemble 80 000 personnes dans un stade et plus de 3 millions dans les pubs, ce sport qui met le pays à l’arrêt durant tous les dimanches de cette période. Du coup, on a jamais diffusé Paris Roubaix même si Sean Kelly l’avait gagné auparavant. On aime Paris Roubaix mais durant les matchs de Gaelic Football, il ne peut pas lutter ici.
Maintenant on diffuse le tour en intégralité, chaque étape, car il y avait vraiment une demande du public. Les temps ont changé. »
Pourquoi le Tour de France plaît il aux Irlandais?
« Déjà, pour la course avec cette jeune génération qui ose même sur les étapes de plaine. Ca fait un bien fou de voir ca au lieu de l’échappée publicitaire et le retour programmé du peloton. Celles ci qui étaient les plus ennuyeuses pour les commentaires sont devenues soudainement passionnantes. Tu ne sais jamais ce que ces gars vont nous faire. Et puis bien sûr pour les étapes de montagne où les bagarres sont légendaires. Il y a même un virage dans l’Alpe d’Huez que l’on nomme le virage des Irlandais (rires).
Puis, le tour est diffusé en juillet. C’est une bonne période pour découvrir la France. Les gens sont en vacances un peu partout dans le monde et se demandent où ils pourront aller ensuite. Ils découvrent des endroits par le tour et ils deviennent désireux d’y aller faire un tour.
Et enfin, pour notre ambiance durant le direct. Paidi (O’Lionard) est un journaliste de l’info habituellement. Donc, il nous arrive régulièrement de parler d’autre chose que de la course et ca fait bien rire les gens. Ensuite, dans notre façon de commenter. Nous n’utilisons par les termes ultra techniques qui ne sont connus que des initiés. Ca gonfle le grand public en général quand on parle comme ça je pense et le public s’éloigne »
Cyrille Guimard, Bernard Thévenet et Daniel Mangeas
Vous parlez très bien le français et vous citez souvent les commentateurs Français, lesquels vous inspirent le plus?
« Je ne cite pas beaucoup les commentateurs Français car je ne connais pas la nouvelle génération que ce soir sur France TV ou Eurosport France. Mais c’est vrai que deux personnes m’ont fortement influencé dans la façon de commenter: Cyrille Guimard et Bernard Thévenet. Guimard car il parle le même langage que le peuple et tu sens qu’il aime le cyclisme, mais vraiment. Quand il est en colère, il part assez vite dans les tours comme un bon latin et il emploie un langage assez imagé (rires). Mais quand il aime le job d’un mec, il utilise les mots justes, il parle avec le coeur. De plus il n’est pas chauvin comme certains autres, il aime le coureur d’où qu’il vienne, il aime le beau vélo c’est tout. Parfois, je regarde l’Equipe 21 sur le net. J’adore le regarder car quand il est lancé, personne ne peut l’arrêter ni les deux autres mecs à ses côtés. C’est ça que veut le public, un homme passionné, pas avec un vocabulaire aseptisé ou arrogant.
Bernard Thévenet, c’est la grande classe. Quand il commentait, j’aimais bien sa façon de voir les choses. Il ne s’emportait jamais mais il savait toucher le coeur le public, sa voix, son oeil et son analyse étaient percutantes. Quand tu écoutes Thévenet, tu captes de suite ce qu’il va se passer. J’ai appris que Laurent Jalabert était devenu commentateur, je ne l’ai jamais écouté mais ça doit être sympa.
Mais tu sais qu’il y a un autre français célèbre dans ses commentaires chez nous en Irlande? Daniel Mangeas. Vous le nommez « la voix du cyclisme ». Quand j’étais coureur, je suis monté sur le podium un jour où il était là avec son micro. Ca me faisait tout drôle d’être a ses côtés. Sean (Kelly), Stephen (Roche) et tous les coureurs Irlandais ont un profond respect de Mr Mangeas, un homme humble mais qui sait tout sur tout et qui sait surtout transmettre sa passion au public. »
Justement les coureurs irlandais. Vous êtes un ancien coureur durant les années 90 où il y avait peu d’irlandais à l’epoque. Desormais, de nombreux jeunes de l’île sont présents dans le milieu pro et amateurs et certains ramènent de belles victoires. Pourquoi soudainement l’Irlande s’est elle éveillée au cyclisme?
« On était nombreux dans les années 90, il y avait du monde sur nos courses, une centaine par course. . Honnêtement, je n’ai jamais compris pourquoi peu partaient à l’étranger. On était mal géré à l’époque, la fédération venait de se créer. Ensuite, on était mal entrainé au sein du team national car peu de gars pratiquaient le cyclisme. Et puis ça coutait cher de quitter l’île, de trouver un logement, un team. Peut être pour ça que peu d’Irlandais rejoignaient le WorldTour à l’époque. Enfin, le Tour de France est déjà parti d’Irlande, à Dublin, en 1998. Malheureusement, c’était l’année de l’affaire Festina et de Richard Virenque. Ca a fait beaucoup de dégât aux yeux du public cette affaire de dopage organisé. Tout le monde était écoeuré du cyclisme en Irlande.
Maintenant tout ça est loin et nous les anciens ont donne un coup de main aux jeunes. On a une fédération qui bosse, notre réseau s’est fortement établi depuis en Angleterre, en France et en Belgique. Du coup, ça profite aux jeunes je pense. »
Au pourcentage, par rapport à la population, l’Irlande est devenue l’une des plus importantes en terme de licenciés. Pourquoi ce grand essor?
« On a plus de licence maintenant mais il faut analyser les chiffres. C’est vrai mais ils ont tous plus de 30 ans. On a presque plus de cadets ou de juniors! C’est une gros problème en Irlande. Le vélo est un sport dur et aussi dangereux, surtout à l’entraînement. Le jeune roule désormais avec un ou même ses deux yeux sur l’appli TIK TOK. C’est dingue! Aussi beaucoup de jeunes préfèrent le playstation que de se faire mal sur 40 ou 50 km. les enfants sont devenus de doux agneaux.