Il y a un an, un microbe changeait la donne sur la planète. Il a tué des millions de personnes à travers le monde, touché l’économie mondiale de plein fouet, atteint nos libertés et nos perspectives d’avenirs. Il a mis le monde entre parenthèse.Il nous faudra tous encore du temps pour retrouver une vie normale. Dans deux mois, six, plus encore… Nul ne le sait, ni aucun gouvernement de la planète, ni personne…Le cyclisme est donc touché, comme tous les sports, et il souffre à sa base. Les jeunes ne peuvent plus courir en compétition en France, Belgique, Pays Bas, Royaume Uni, USA et quasiment partout sur la planète. Plusieurs jeunes ne savent donc plus si ils vont reprendre le cyclisme, tout comme de nombreux clubs ne savent pas quel sera leur avenir par ce manque d’effectifs accentué par la crise financière et des sponsors, touchés durement, qui ne peuvent plus soutenir financièrement..
Bernard Hinault, le dernier (et quintuple) et vainqueur du Tour de France, nous a accordé une interview pour lancer un message à ces jeunes. Pour ce dernier, certes il y aura un trou dans le peloton Français dans les années à venir mais le « Badger » préfère positiver. Il adresse un message aux jeunes: celui de ne jamais penser à l’abandon si ils veulent devenir ces champions de demain et qu’il faut prendre ce covid comme une épreuve qui forge le caractère, qui apprend sur soi et sur ce que l’on veut le plus dans la vie. Et sur ces points, Hinault a déjà maintes fois démontré qu’il n’est pas du genre à baisser les bras devant l’adversité. Il est même devenu l’ambassadeur de « Souffles d’espoir contre le cancer« …. « The Badger » veut se battre, même contre l’impossible…

Bernard Hinault, comment vivez vous cette période sous covid?
B. Hinault : » Je fais attention quand je sors, je mets un masque et j’évite les contacts inutiles. On reste à la maison après 18 heures, on respecte les règles sanitaires. Que voulez vous faire d’autre? On veut tous voir ce virus disparaître et la meilleure façon de l’éradiquer à l’heure actuelle, c’est de limiter les déplacements et les contacts afin de ne pas l’étendre partout. Personne n’a de solution efficace, ni les scientifiques, ni les politiques. En attendant des jours meilleurs et bien… On patiente, c’est tout et on pense à l’avenir en respectant les consignes sanitaires. »
Face à l’annulation des courses, des présidents de clubs comme Pascal Orlandi de l’AC Bisontine sont inquiets des départs de plusieurs jeunes durant cette année bloquée par le Covid. Comment motiveriez vous ces jeunes pour rester dans le cyclisme ?
B. Hinault : » Les motiver? Je ne sais pas. Je pense juste que ceux qui reprendront la compétition et qui ne baisseront pas les bras seront les plus motivés, les plus forts mentalement. Les jeunes qui savent patienter, ceux qui continueront à s’entrainer dur tout le temps malgré le manque de courses, ceux qui savent résister face à l’abandon seront les champions de demain.
Cette période opère une sélection naturelle sur le plan sportif au final. Seuls les plus forts mentalement résisteront et ils prendront le départ des courses avec une dalle incroyable. C’est déjà une sacrée épreuve tout ça, non? »
Ils sauront ce que veut dire avoir la dalle et souffrir en attendant la gagne
Plusieurs sportifs, et coach comme Mickael Leveau, pensent qu’il y aura un trou dans le peloton Français dans les prochaines années. Qu’en pensez vous? B. Hinaul
t : « Oui, c’est certain. Il y aura moins de coureurs pros français. Mais d’un autre côté, il y en aura certainement moins mais ils seront plus forts que les autres générations je pense. Car eux, ils auront vécu cette période inédite pour les jeunes, ils sauront ce que veut dire avoir la dalle et souffrir en attendant la gagne. Comme je l’ai dit dans la question précédente, ça forge un caractère cette épreuve. Puis, ces jeunes qui gagneront, attireront d’autres jeunes par la suite. Ca redeviendra à la normale mais sur un plus long terme. Il faut juste être patient et résistant mentalement »

Oui mais les clubs souffrent aussi avec ce manque de courses. Moins de jeunes, moins de sponsors.
B. Hinault: « Oui mais en même temps, sur le plan des sponsors, personne n’y peut rien Bien sûr que je suis comme tout le monde… Ca ne laisse pas indifférent personne de voir disparaître un club formateur… Mais il n’y a pas de solution miracle. J’aurais bien aimé le contraire mais personne, hélas, n’est épargné durant cette pandémie. C’est dur pour tout le monde…
On parle de la crise dans le cyclisme. Mais il y a plus important je pense. Je pense à ces entreprises qui souffrent durement sur le plan économique. Tu crois qu’ils vont sauver qui en premier? Le sport? Non, les emplois et ça se comprend. Là on parle de familles qui doivent gagner leur croûte. Les entreprises doivent produire pour vivre et durant la crise, les investissements seront pour maintenir tout ça. Pour une entreprise, le marketing sport n’est plus une priorité durant ces moments difficiles. On n’y peut rien, c’est une crise mondiale là. »
Ca me me fait mal de dire ça, mais tu as une meilleure solution?
Les courses annulées et le huis clos sur les courses pros? B. Hinault
; « Oui je vois ça et je comprends la tristesse. On en voit qui râle sur la décision des organisateurs mais qu’est ce qu’ils peuvent y faire? Trouver du fric comme par enchantement? Bafouer les consignes de sécurités sanitaires et la tuer à jamais? De plus, il faut savoir que ça coûte relativement cher toutes ces consignes de sécurité sanitaires. Il faut les reins solides pour rallonger le budget de plusieurs milliers d’euros et de millions pour les grosses sociétés comme ASO. Les mecs, ça ne leur fait pas plaisir de reporter, d’annuler ou d’instaurer le huis clos. Ils font ça la mort dans l’âme. Les courses à petits budgets payent cash la note, ils n’ont pas les moyens.
C’est sûr que des sociétés comme ASO ont ce budget. Mais tu sais combien ça a couté à ASO les consignes sanitaires l’année dernière? Une somme assez conséquente. Ce sont plusieurs hôtels en plus pour loger une équipe par étage dans chaque hôtel. Tu imagines?
Mais combien de temps vont ils pouvoir casquer si ces consignes durent? Aucune société ne pourra subir ça trop longtemps. Le Tour, c’est le seul événement qui rapporte un peu à ASO à l’heure actuelle. Il permet aussi de faire rêver, les jeunes et les moins jeunes, de maintenir nos espoirs en l’avenir, de sauver aussi des emplois. Il faut qu’ils continuent tous, les Grands tours comme les monuments, quitte au huis-clos. Ca me mal de dire ça, mais tu as une meilleure solution? »
Le cyclisme est dans l’ADN du peuple.
Le cyclisme, dans les années à venir, retrouvera t il sa place dans le coeur du public après cette crise ?
« Oui, bien sûr. On vit un moment que personne sur terre n’a jamais vécu. Mais rappelez vous la Grippe Espagnole au début du XX ème siècle, vers 1916 ou 18. Elle a tué un demi milliard d’êtres humains. Là aussi on avait instauré des consignes sanitaires. Il y a plus d’un siècle, il y avait déjà le port du masque, la mise en quarantaine, des fermeture d’écoles, fermeture de divertissements publics, interdiction de l’affluence dans les commerces et interdiction des attroupements publics. Elle était pire cette pandémie et pourtant, le cyclisme est toujours là. Il a survécu… Alors pourquoi penser le contraire pour celle là? Il est dans l’ADN du peuple.
Par contre, je pense que le passeport sanitaire sera de mise. Tout le monde pourra être vacciné et celui qui ne le désire pas, et bien il reste chez lui, c’est tout. Si on veut voyager à travers le monde en toute sérénité, alors il faudra respecter les consignes pour ne plus revivre ça. On ne va pas tout risquer pour des gens qui ne pensent qu’à eux. »
Pour revenir aux jeunes… Et si Bernard Hinault avait été ce jeune durant le Covid? Aurait il abandonné?
« Non, j’aime le vélo et je n’aurai pas abandonné. Je continuerai à m’entraîner encore et encore avec la rage et la dalle. Je ne penserai qu’à ma première course à la reprise et celle là, je donnerai tout pour montrer combien elle m’a manqué. »