Le titre de champion de France juniors de Romain Grégoire est un véritable symbole pour ce team formateur qu’est l’AC Bisontine. Ce maillot est surtout le fruit du talent d’un jeune coureur avec Romain Grégoire bien sûr, issu du cross, mais encadré depuis des années par des passionnés de cet « ART », par ces pédagogues inconnus du grand public mais qui sont pour beaucoup dans la carrière d’un champion de demain.
Romain devait faire le CX de Vittel mais il a été annulé, il s’est donc rabattu sur le France juniors
Pascal Orlandi
; « Oui, la victoire de Romain Grégoire est magnifique et pour plusieurs raisons. Tout d’abord pour lui même car il le mérite tant. C’est un bon gamin qui travaille énormément pour y arriver. Il sait ce que veut dire « en chier ». Il faut savoir qu’à la base, c’est crossman. Il devait, initialement, faire le CX de Vittel, c’était son objectif. Mais au denier moment, Vittel a été annulé et il s’est, du coup, rabattu sur le France juniors.
Mais Romain aime courir, sous toutes les conditions, sur tous les types de circuit, la boue, le sable ou le bitume. Il vient des labourés, il est habitué au froid, au vent, à cette dureté qui forge la mentalité d’un coureur de cyclo-cross, en plus de l’explosivité qu’apporte cette discipline. »
C’est dommage ce manque de considération pour le cross en France
Encore un crossman?
« Oui, comme tu le dis: « encore un crossman« . Mais je ne sais toujours pas pourquoi on ne juge que par la route et les grimpeurs dans la détection en France? Regarde qui domine le vélo mondial, c’est des gars comme van Aert, van der Poel, Alaphilippe ou le jeune Pidcock. Je ne compare pas Romain à ces champions mais je me dis que le cross n’a pas la place qu’il mérite au sein des équipes pros en France. Souvenez vous de Roger de Vlaeminck, des Robic ou autres. Et regarde Sagan? Il vient du VTT, c’est un peu la même chose. C’est dommage ce manque de considération pour le cross en France. »
La victoire est aussi une belle récompense pour le team de l’AC Bisontine?
« Oui, on était aussi heureux que lui et ému jusqu’aux larmes. C’est l’un de nos jeunes qui a grandi, ici, à l’AC Bisontine. Il est venu chez nous à l’âge de 12 ans. Puis il a été encadré par des passionnés comme Romuald Lefevre et d’autres. Ils ont transmis ce savoir à ces juniors qui sont parmi les meilleurs en France. Pourquoi cette réussite ? Parce qu’on les laisse aussi grandir tranquillement en les formant sérieusement à cet art, sans pression et surtout en entretenant le plaisir de rouler, de la compétition. De la défaite, on leur apprend aussi que c’est une force. Nous sommes toujours derrière eux.
Leur bonheur, c’est notre plus grande satisfaction à nous autres, les petits clubs formateurs snobées par les équipes pros Françaises
Thibaut Pinot était chez nous en cadet 2, puis on l’a fait grandir dans le monde juniors tout comme plein d’autres champions comme Morgan Kneisky qui est arrivé à 11 ans. Même les étrangers nous envoient leurs juniors comme Eddie Dunbar qui est venu chez nous pour apprendre le job. Je me souviens que sur le Tour du Nivernais Morvan juniors, Jean François Bernard était venu me voir pour me dire que ce gamin en avait sous le pédale. Jeff avait raison. Eddie est désormais chez Ineos et il est heureux. Puis on a eu aussi des jeunes comme Matthew Teggart ou Jaakko Haninen qui sera l’un des futurs grands sur les Grands Tours avec AG2R Team Citroen. Un jour, Tao Geoghegan Hart cherchait à rouler en France durant sa première année junior, en 2012. Il est passé par un ami en commun mais nous étions complet, c’est mon plus grand regret quand je vois ce qu’il a fait sur le Giro (rires).
En ce moment, on collabore avec Giles Pidcock, le papa de Tom le crossman, pour encadrer des jeunes anglais qui sortent du monde juniors ou encore avec la Dave Rayner Fund qui fait un super boulot pour tous ces gamins. On a eu tellement de jeunes qui étaient heureux chez nous que l’on se doit de continuer comme ça. Leur bonheur, c’est notre plus grande satisfaction à nous autres bénévoles de ces petits clubs formateurs snobées par les équipes pros Françaises… »
Snobées?
« Oui, car dès qu’un jeune tourne, il est immédiatement recruté par les équipes pros. Actuellement, elles suivent toute cet effet mode qui règne dans le monde pro que je nomme le « syndrome Remco Evenepoel » ou Tadej Pogacar. Elles cherchent tous la perle rare quitte a sacrifier des jeunes qui valent le coup plus tard. Mais des Evenepoel ou Pogacar, il y a 2 sur 100 000…
De plus, une fois qu’elles recrutent le jeune, elles oublient les équipes de passionnés qui l’ont formé, qui l’ont encadré et soutenu durant ses années cadets et juniors. Parce que tu crois qu’elles nous filent un coup de main ensuite pour les autres gamins? Non, jamais. Même pas un mot gentil pour les bénévoles, rien.. »
Pour ça que vous êtes en DN1 désormais, pour les protéger?
« Oui, c’est pour ça. Pour continuer notre formation de base sereinement. On en avait marre de voir nos gamins partir dans des DN1 qu’ils ne connaissaient pas et qui, surtout, ne les connaissaient pas. Imagines pour le gamin sur le plan psychologique ! Après 5 années formé au team, il se retrouve dans un nouveau monde qui demande de suite des résultats et une pression exercée assez forte. Mentalement, tu en as plein de ces gamins qui pètent les plombs et qui ne remonteront jamais sur un vélo alors qu’ils avaient un talent incroyable avant d’arriver chez eux.
Donc du coup, pour continuer la formation que nous donnons dès qu’ils arrivent chez les cadets, nous les gardons désormais chez nous et sur un calendrier DN1, ces courses qui leurs permettent de se faire connaître. Au moins, ils seront toujours au sein du team qui les ont formé, au sein de la famille, bien au chaud. Ils apprennent le haut niveau doucement mais sûrement . »
L’effet mode du moment dans les équipes pros françaises c’est de recruter chez les juniors en espèrant trouver le Evenepoel tricolore.
Vous dites que les équipes pros ne vous soutiennent pas, vous les clubs formateurs ?
« C’est vrai. Mais nous ne sommes pas les seuls en France. C’est partout pareil chez nous. Le gamin va dans un team DN1 ou désormais dans des conti (réserve de team pros) dès 18 ans, à peine sorti du nid car tous veulent trouver le Evenepoel ou le Pogacar Français. Une fois qu’ils l’ont attrapé, ils ne donnent pas de soutien pour les autres derrière. Ils s’en foutent du nid alors qu’il y encore plein d’oeufs qui vont éclore…
Regarde aussi ce que les Hauts de France ont fait sur ce championnat, un très beau résultat grâce un travail collectif. Mais qui parle de ces formateurs du Nord? Quelles équipes les remercient dans le monde pro? Alors que, comme nous, ils sont à l’origine de l’aventure. C’est pour tous les clubs formateurs cette indifférence.
C’est pour ça que je préfère travailler avec des équipes ou des fédérations étrangères. Car, eux, ils se souviennent qui était là au début. Regarde Ineos? Ils aident les clubs formateurs britanniques, il y a des vraies relations entre eux et tout le monde est gagnant. Pour ça que ces gamins sont épanouis. Ils ne sont jamais seuls et il y a une vraie continuité. A chaque fois que je croise mes anciens coureurs étrangers, ils viennent nous voir et nous présentent à leurs équipes qui nous remercient chaudement. Si, en France, on avait un peu de cette culture, ça ferait énormément de bien à notre cyclisme tricolore. »
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