Photo en tête (de droite à gauche : Brett Horton, Jim Ochowicz, Eddy Merckx, Phil Liggett)
Ils se comptent seulement sur les doigts d’une main les plus grands collectionneurs du cyclisme à travers le monde, de l’histoire de notre art, les gardiens du temple.
Certes, il faut une certain aisance financière pour se permettre d’acquérir de tels objets et précieux souvenirs, de trophées, de maillots, des voitures du tour de France datant de plus de 60 ans, mais il faut aussi être un vrai passionné de la vie, de l’histoire des hommes, de ces champions et connaître surtout la culture du cyclisme, du Tour, celle de notre France.
L’Américain Brett Horton n’est pas un nom très connu par le public en général, mais tous les grands champions connaissent Shelly et Brett Horton. En passant par Eddy Merckx, Roger de Vlaeminck, Bernard Hinault, son ami (qui nous a quitté récemment) Patrick Sercu, Freddy Maertens ou les organisateurs comme la société ASO et Madame Amaury, l’écrivain et grand collectionneur Pascal Sergent, etc… Ils sont connus de tous.

Cet homme d’affaires américain est un vrai et pur passionné. Le cyclisme, il le connait très bien, il a été un coureur. 5 fois titré champion de Californie sur piste, vainqueurs de nombreuses courses US, Brett n’a jamais cessé d’aimer sincèrement cet art. Désormais, la famille Horton se consacre au devoir de mémoire de toutes ces courses et de l’histoire des champions, de ces hommes.
Ils n’hésitent pas à parcourir le monde pour les rencontrer et les écouter, certains sont même devenus des véritables amis comme Eddy Merckx ou Bradley Wiggins. Sa collection est si gigantesque qu’elle ne peut être exposée dans un seul endroit. Si vous trainez du côté du Tour de France, il est certain que certaines pièces de collection appartiennent à la collection Horton.

Des livres sur le sujet, il a écrit des tas, des témoignages inscrits pour l’éternité, des histoires et les objets qui vont avec celles ci. Pour le collectionneur, un objet n’a aucune valeur, même en or, si il n’y pas d’histoire avec. Il a même fondé le site HORTON COLLECTION / CYCLING GIFTS and Bicycles Memorabilia.
Nous avons rencontré Brett en Bretagne. Nous avons alors été surpris par la simplicité de l’homme, par son savoir sur notre culture, par sa passion. Entre deux bolées de cidres et quelques crêpes (son péché mignon), nous avons parlé de son intérêt pour le cyclisme, de sa collection, de ce devoir de mémoire dédiée à tous et de cette France qu’il chérit tout comme le Tour national qui est : « âme et la culture de la France«

Brett, d’où vient ta passion pour le vélo ?
Brett Horton; « Je suis tombé amoureux du vélo quand j’avais 12-13 ans. C’est alors que le vélo est passé du simple moyen de transport à la passion. J’ai alors vite découvert la course.
Aux États-Unis, le cyclisme est très différent de l’Europe. Dans les années 70, le cyclisme de compétition était un sport marginal. J’ai eu la chance de trouver d’abord un club auquel adhérer et, en quelques années, j’ai migré vers le « San Jose Bicycle Racing Club ». Le SJBC a vu le jour en 1939 et existe encore aujourd’hui.
J’étais un coureur sur piste décent, bien que peu remarquable. Ma forme physique convenait bien à la piste, et j’aimais le sprint et le kilomètre. J’ai eu la chance de remporter cinq championnats d’État de Californie et un bon nombre de courses sur route. Bien que bon au niveau régional, je n’allais jamais devenir un professionnel.
Dans les années 1970 et au début des années 1980, la course cycliste était un sport « exotique » pour un Américain. Il fallait faire un effort pour se connecter avec le côté sportif du cyclisme. Une fois engagé, j’étais accroché pour la vie. »

Des années plus tard, vous êtes devenu un grand collectionneur. Pourquoi collectionner tout ce qui concerne l’histoire de notre cyclisme ?
B.H : »Je ne sais pas pour « tout », mais j’aime le large spectre de ce sport. Si mon intérêt initial était de collectionner de vrais maillots de course, mon attention s’est rapidement portée sur des affiches originales, des trophées, des photographies, des œuvres d’art, des vélos et d’autres choses.

Un maillot authentique est formidable, mais il prend vie s’il y a aussi une photo du coureur qui porte le maillot exact ce jour précis. Encore mieux ? Obtenez le trophée que le coureur a gagné ou le vélo qu’il utilisait pendant la course !Pour moi, la collection est une mosaïque. L’histoire est beaucoup plus fructueuse s’il y a une grande variété d’objets et d’histoires qui vont avec. »
Comment réussissez-vous à rassembler autant d’objets ?
« Le trio gagnant de la constitution d’une collection importante de tout sujet impliquant des objets physiques est souvent constitué de temps, d’argent et de relations. Pratiquement tout le monde possède au moins un de ces trois éléments. Deux ? Encore mieux. Si vous possédez les trois, votre collection prendra de l’ampleur. Ma femme Shelly et moi avons constitué notre collection pendant plus de 30 ans et nous espérons qu’elle continuera à se faire pour le reste de notre vie. C’est un amour et une passion. Nous trouvons des objets aux enchères, par l’intermédiaire d’autres collectionneurs, et directement auprès des coureurs. Certaines choses viennent rapidement, d’autres peuvent prendre des années et des années pour être acquises.
Trouver le prochain grand objet pour notre collection n’est pas mon but ultime (…) Je veux collectionner des histoires
De nombreux collectionneurs sont surpris de savoir qu’aujourd’hui, trouver le prochain grand objet pour notre collection n’est pas mon but ultime. Pour moi, si je n’obtiens jamais un autre objet, je suis heureux. Ce que je souhaite collectionner maintenant, ce sont des histoires. J’éprouve beaucoup de joie à rencontrer les coureurs et j’apprécie simplement de passer du temps avec eux pour mieux. »

Quelles sont tes plus belles pièces ?
« Pour moi, « la plus belle » est une référence relative plutôt qu’absolue. Aussi, ma réponse aujourd’hui par rapport à hier ou demain sera probablement différente selon mon humeur du moment.
Si je ne pouvais garder qu’une seule pièce de la collection, ce serait le maillot du champion du monde Molteni-Campagnolo qu’Eddy Merckx portait lorsqu’il a remporté le Liège-Bastogne-Liège en 1975. Un grand coureur, un grand maillot, une grande course et une personne merveilleuse que j’apprécie.
Les collections, quelle que soient leurs tailles, sont généralement définies par moins d’une douzaine d’articles. Penses au Musée du Louvre. Combien de choses dans cette vaste collection un visiteur typique peut-il se rappeler ? Après la Joconde, elle s’épuise rapidement. Pour moi, quelques uns de mes objets préférés dans notre collection qui me viennent en premier à l’esprit sont :

- 1. Les maillots d’Eddy Merckx. Je me souviens que nous avons 14-15 des maillots d’Eddy. La majorité nous proviennent directement d’Eddy.
- 2. La médaille du vainqueur de la première étape du Tour de France de 1904. À ma connaissance, il s’agit de la plus ancienne médaille/trophée du Tour de France qui subsiste au monde.
- 3. Trophée original du Tour de France utilisé de 1930 jusqu’après la Seconde Guerre mondiale. Un magnifique bronze et marbre de style Art Déco.
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Le Trophée du Tour de France d’Hugo Koblet en 1951 (Collection Brett Horton) - 4. Les objets de Hugo Koblet, dont plusieurs maillots et trophées portés lors de courses. Les pièces les plus importantes sont son maillot jaune TdF et son trophée.
- 5. Le Trophée de Bordeaux-Paris 1911 remporté par François Faber.
- 6. L’histoire de Freddy Maertens : ses vélos des championnats du monde 1976 et 1981, ses maillots (plus de 25), et nombreuses récompenses, dont son trophée des championnats du monde 1976.
- 7. Médaille en argent de Paris-Roubaix de 1896.
- 8. Des souvenirs des courses de 6 jours (sur piste). Nous avons la chance d’avoir des maillots, des vélos, des souvenirs et des trophées des années 1800 à nos jours.
Mais encore une fois, si tu me poses cette question la semaine prochaine, les réponses seront probablement différentes ! »

Tu voyages à travers le monde pour rencontrer des champions comme Eddy Merckx, Bernard Hinault, Roger de Vlaeminck, et bien d’autres. Quels sont les souvenirs les plus remarquables ?
« Par où commencer ? J’ai eu l’incroyable chance de côtoyer de nombreux coureurs, depuis des gentlemen comme Victor Cossin, qui était à l’époque l’un des plus anciens cyclistes du Tour de France encore en vie, jusqu’à de nombreux champions modernes.
Ce que j’apprécie le plus, c’est lorsque je peux passer du temps avec des coureurs actuels ou anciens en compagnie de leurs coéquipiers, en prenant simplement un verre ou un repas. Un exemple qui me vient immédiatement à l’esprit est relativement récent et se trouve ici même en Californie.
Ce que j’aime le plus, c’est quand je peux passer du temps avec des coureurs (…) en prenant simplement un verre ou un repas.
Pendant quelques années, durant le Tour de Californie, Erik Zabel, Rolf Aldag, Jens Voigt et moi-même nous sommes retrouvés souvent pour dîner ensemble. Les conversations, qui duraient toujours plusieurs heures, étaient toujours très agréables et avaient une portée extrêmement large, du vélo à la politique en passant par la famille et tout ce qui se trouvait entre les deux. Maintenant que le Tour de Californie est terminé, je suppose que je vais devoir prendre un avion à destination de l’Europe pour vivre à nouveau cette expérience ! »

Tu es également ami avec Bradley Wiggins, qui est aussi un collectionneur. Vous échangez beaucoup d’objets de collection entre vous ?
« Brad a un excellent coup d’œil pour les objets authentiques et c’ est un collectionneur attentif et réfléchi. En relativement peu de temps, il s’est mis sur les rails pour constituer une collection de classe mondiale. Je suis très heureux d’avoir échangé des objets avec Brad, et je me réjouis de poursuivre ma relation avec lui pour les années à venir. »
Robin (Williams) n’était pas seulement un fan de course, c’était lui -même un cycliste
Tu étais très proche de l’acteur Robin Williams, ton ami. Il était un grand fan de cyclisme et il avait une impressionnante collection de vélos. Il est même venu au Tour de France pour le plus grand plaisir du public. Qu’est-il arrivé à tous ces vélos ? Quels souvenirs gardes tu de ton ami de cet ?
« Même si c’était une célébrité très connue, Robin était tout à fait disposé à prendre une photo et à partager un moment agréable avec les fans. Il n’était pas seulement un fan de course, c’était un cycliste lui-même. Robin aimait aller aux courses quand son emploi du temps le lui permettait.
Après sa mort, sa famille m’a demandé de faire l’inventaire et d’évaluer une partie de sa vaste collection. Au final, certains vélos ont été donnés à des amis, et d’autres ont été vendus aux enchères au profit d’œuvres de charité. J’ai toujours été impressionné par la quantité de choses que Robin « rendait » à sa communauté, sans jamais chercher à se faire de la publicité. Il était incroyablement généreux. Je ne peux pas compter le nombre de fois où il s’est présenté à un événement lié au cyclisme et a fait don d’un de ses vélos personnels pour qu’il soit vendu aux enchères au profit d’une œuvre de bienfaisance. »

Le Tour de France, tu y viens souvent ? Que fais tu sur place?
« Avant que la télévision américaine n’offre une bonne couverture, ma femme Shelly et moi faisions le voyage au Tour presque chaque année. Pour nous, un voyage sur le Tour était toujours plus que de regarder une course cycliste. Nous n’avons jamais suivi toutes les étapes d’une édition du Tour. Nous préférons assister à quelques jours de course, puis faire une pause de quelques jours pour visiter des lieux culturels et déguster la cuisine locale. Je pense que le plus grand nombre d’étapes que nous avons vues en un an était 16 au Tour de France 1997. »
Le Tour de France est bien plus qu’une course. Il s’agit de la culture et de l’âme de la France
Que représente le Tour de France à tes yeux ?
« J’aime le défi physique épique qu’est le Tour de France. C’est un beau composite : des ascensions mythiques, des champions couronnés, la caravane, tout le spectacle. Cela dit, pour moi, le Tour de France est bien plus qu’une course. Il s’agit de la culture et de l’âme de la France. J’aime voir comment les citoyens des petits villages comme des grandes villes se pressent dans les rues le jour de la course pour célébrer le droit de passage annuel de la course.

En tant que visiteur, j’aime voir la variété de la culture locale, de l’architecture, de la nourriture et de la topographie qui constituent l’incroyable tissu du grand pays qu’est la France. Après plus de 25 ans de voyages en France, j’ai toujours apprécié la gentillesse et l’accueil des Français, de ma femme Shelly et de mon fils Trevor. »
Le coureur qui tu as le plus admiré dans l’histoire du cyclisme ?
« C’est une question compliquée. Pour moi, l’admiration est difficile à acquérir si je n’ai jamais réellement rencontré la personne et passé un temps significatif avec elle. Si je ne connais pas la personne personnellement, je dois me fier à ce qu’un journaliste a écrit ou aux images de la télévision pour me faire une opinion.
Patrick (Sercu) me manque et je suis si reconnaissant d’avoir eu le privilège de l’appeler mon ami.
C’est pourquoi, dans la période d’avant-guerre, je trouve que je m’intéresse beaucoup à André Leducq. L’époque des années 20 et 30 a captivé mon imagination pendant de nombreuses années. J’ai aimé cette époque et la façon dont le sport évoluait, passant d’une approche initialement très individuelle à une approche d’équipe raffinée. Pour moi, Leducq était un champion inspirant qui semblait également être un être humain sympathique.
À l’ère moderne, j’admire Patrick Sercu. J’ai connu Patrick 25 ans avant qu’il ne décède. Comme beaucoup de coureurs belges, Patrick vivait en quelque sorte dans l’ombre de son ami proche Eddy Merckx. Patrick était très à l’aise avec lui-même et ses exploits à vélo. Plus important encore, Patrick était un gentleman et une personne incroyablement gentil. Avec son fils Christophe et sa belle-fille Inge, il a toujours été très gracieux et accueillant pour ma famille. Patrick me manque et je suis si reconnaissante d’avoir eu le privilège de l’appeler mon ami. »

Quelle est la pièce de collection que tu aimerais posséder ?
« Bien que je reconnaisse que cela n’arrivera probablement jamais, de loin, j’aimerais avoir le vélo et la tenue d’Eddy Merckx quand il bat le record de l’heure. Au-delà du spectacle du record lui-même, il représente pour moi l’une des dernières pages de l’ère classique du cyclisme. Bien que le vélo ait été très avant-gardiste à l’époque et qu’il ait servi à l’évolution de la technologie, il était encore de l’époque classique. »
Quelles sont les qualités d’un bon collectionneur ?
B.H : Je pense qu’une approche réussie pour constituer une collection à long terme comprend :
- 1. L’éthique – Payer un prix juste et raisonnable pour les objets que vous souhaitez acquérir. Les collectionneurs se parlent entre eux et sont beaucoup plus susceptibles de vous recommander à leurs amis s’ils ont le sentiment que vous les avez traités avec équité et respect.
- 2. Patience – Je collectionne des souvenirs de cyclisme depuis plus de 25 ans et j’ai toujours le sentiment qu’il me reste beaucoup de chemin à parcourir. Trouver des objets vraiment intéressants prend du temps et ne se fait pas facilement à la hâte. Rétrospectivement, j’aurais aimé être un peu plus patient pendant les dix premières années de ma collection. Si j’avais été patient, je n’aurais pas acheté autant de choses qui, dans l’ensemble, n’ont pas beaucoup de sens.
- 3. Persévérance – Outre la patience, la persévérance est importante. Un collectionneur ne peut pas se contenter de s’asseoir et de s’attendre à ce que les objets le trouvent. Il faut chercher, se connecter avec les gens et être prêt à saisir l’occasion.
- 4. Réseau – Les gens doivent savoir que vous existez et que vous êtes un collectionneur sérieux. Apprenez à connaître autant de personnes que vous le pouvez. Vous ne savez jamais d’où viendra la prochaine pierre précieuse.
- 5. L’argent – Oui, vous avez besoin d’argent. Essayez d’avoir un « trésor de guerre » en réserve afin de pouvoir réagir immédiatement si l’occasion se présente. Un grand nombre de vendeurs ne veulent pas aller aux enchères. Ils veulent une vente qui peut se terminer rapidement avec de l’argent liquide dans les moments qui suivent l’inspection de l’objet.
- 6. Partagez votre collection – Si vous avez la chance d’être le gardien de certaines des reliques du cyclisme, envisagez de les partager par le biais d’expositions publiques, de magazines et de médias virtuels. De nombreux amateurs de cyclisme aiment voir l’histoire tangible de la course. Les reliques associent notre présent à son passé et nous donnent à tous un lien plus profond avec ce sport.
- 7. La qualité avant la quantité – Économisez votre argent pour les bonnes choses. Acheter pour le plaisir d’acheter n’est pas satisfaisant à long terme. Je n’ai jamais rencontré une seule personne qui collectionne quoi que ce soit, à vélo ou autre, depuis plus de 10 ans et qui n’aurait pas souhaité être plus sélective dans les premières années de sa collection.
- 8. Be Nice – La collecte n’est pas un sport de sang. J’ai rencontré certaines des personnes les plus merveilleuses en étant collectionneur. La gentillesse ne vous coûte rien. Bien que je comprenne que des voies comme les ventes aux enchères sont compétitives, vous devez accepter que vous ne pourrez probablement jamais acheter tout ce que votre cœur désire. Si vous êtes un être humain agréable (Be nice), les autres collectionneurs deviendront souvent votre plus grande source de nouvelles pièces pour votre collection. »
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