Le Normand (il est né dans la ville portuaire de Cherbourg) Lionel Marie a, comme ses illustres prédécesseurs aventuriers, taillé la route pour prendre le large, histoire de voir comment le monde pouvait tourner ailleurs qu’autour de sa « douce France »! Mais avant de s’envoler vers les rives de l’autre côté de l’océan atlantique et de celles des équipes étrangères, il exerça et peaufina son talent d’entraineur en Normandie comme conseiller technique de la fédération Française de cyclisme. Puis il fut nommé responsable des espoirs dans le team Crédit Agricole. En 2005, il vécu une dernière aventure française au sein du team Cofidis avant de partir définitivement pour le reste du monde. Tout d’abord en 2008 avec le team américain Slipstream, devenu Garmin par la suite, en Australie chez Orica Green Edge, un passage chez GIANT Shimano, puis en Turquie avec le team InterTorku et IAM Cycling en Suisse. Enfin, de nouveau un retour aux USA avec team Novonordisk ( diabète team). Il est désormais chez Israel Start Up Nation qui va disputer cette année son premier tour de France. Bref, il a taillé sa route et en a appris des leçons de vies, dures et magnifiques.

Le bonhomme a bien bourlingué et connait parfaitement l’art du cyclisme. En plus d’être un fin tacticien et technicien, il est aussi très à l’écoute des hommes qu’il croise. Il affectionne particulièrement le relationnel avec le coureur, ce côté qui vous permet de vous transcender quand vous êtes en confiance, quand vous vous sentez soutenu. Et sur ce point là, Lionel Marie en connait les bases acquises durant cette vie.
Il en a croisé des champions, des hommes et des histoires. Il a poussé certains coureurs dans leurs retranchements pour les mettre face à eux mêmes mais toujours dans le respect de la personne humaine. Il a acquis ce qui ne s’apprend pas dans les bouquins, ni lors de différents cours de quelques stages UCI. Non, lui il a appris d’abord l’homme, ses forces et ses faiblesses, afin de lui faire découvrir le champion qu’il peut devenir.
L’un d’eux lui a particulièrement marqué l’esprit tant sur le plan sportif que sur le plan humain. Son nom: Bradley Wiggins.
Il nous raconte cette rencontre et ce pourquoi le Britannique l’a particulièrement touché faisant référence à certains égards à cette quête de reconnaissance en commun.
Lionel Marie, des années comme DS au sein de différentes équipes françaises et étrangères, cela en fait de belles expériences vécues?
Le directeur sportif est le chef d’orchestre qui coordonne le jeu de ces coureurs, des ces instrumentistes afin de le rendre cohérent, en leur imposant une pulsation commune
Lionel Marie
: « Oui, de belles aventures avec toutes les émotions que cela engendre. Mais je n’aime pas trop ce terme de DS (Directeur Sportif). Nous ne sommes pas vraiment des directeurs. On ne gère pas une entreprise, ni de service, c’est un titre bien pompeux qui n’a pas sa place dans le cyclisme je pense. Je préfère le terme de « Chef d’orchestre ». Car notre job, c’est d’harmoniser tout ce monde. Dans un orchestre, il y a des cuivres, les instruments à vents, des bois. Il y a un soliste épaulé par des seconds solistes. Et bien une équipe, c’est pareil. Il y a des grimpeurs, des sprinters, des puncheurs, des leaders, du staff, mécaniciens masseurs, médias, bus driver et tous jouent une même symphonie. Le directeur sportif est ce chef d’orchestre qui coordonne le jeu de son équipe, des ces instrumentistes afin de le rendre cohérent, en leur imposant une pulsation commune.
De par sa culture, de son passé, chaque équipe est différente tout comme chaque coureur. Et derrière un coureur, il y a un homme avec son histoire. Au fil du temps, j’ai appris à connaitre l’homme, la culture du pays d’où il venait, son passé, son mental. A partir de mes acquis en tant qu’entraîneur et de ce bagage accumulé au fil des ans, j’essaie de composer une belle symphonie avec eux et comme un chef d’orchestre, je suis exigeant avec le coureur mais toujours en respectant surtout l’humain. »

Ne jamais oublier le junior qui est en nous et qui rêvait de faire parti de l élite … Pourquoi le frustrer chez l’élite devenu ?
Justement, l’un de ces « musiciens » vous a -il touché plus que les autres?Lionel Marie;
« Je ne dirai pas que l’un m’a particulièrement marqué plus que les autres. Tous me marquent car pour devenir un coursier pro, c’est déjà remarquable.
Mais je dirai plutôt que certains m’ont touché sur le plan émotionnel. J’accorde beaucoup d’importance à l’émotion de l’homme car c’est ce qui fait aussi la différence parmi les grands champions. Regarde Marc Madiot ! Quelquefois, il s’emporte mais il parle avec son coeur, avec ses tripes et l’amour qu’il porte à cet art, il ne calcule pas. Il est entier. Ce ne sont pas des machines mais des humains qui ont besoin de spontanéité . Ne jamais oublier le junior qui est en nous et qui rêvait de faire parti de l élite … Pourquoi le frustrer chez l’élite devenu ?
Celui dont je te parle, c’est Bradley Wiggins. Je l’ai connu au Crédit Agricole en 2004 mais son contrat n’avait pas été renouvelé dans le team. Du coup, on avait réussi à le faire rentrer chez Cofidis dont je faisais, alors, parti. On savait qu’il avait un truc, qu’il pouvait aller loin. Pourquoi on le sentait? Je n’en sais rien, c’était une question de feeling, de relation humaine. Bref, il arrive chez Cofidis et un jour, il bâche sur… Cholet je crois. Personne ne comprend vraiment pourquoi il met pied à terre. Je vais le voir et je lui dis sèchement: « Brad, putain mais merde ! Qu’est ce qu’il y a ? Pourquoi t’as bâché? On te fait rentrer chez Cof, et toi tu nous plantes sur les premières courses. Mince, un peu de respect. »
Brad ne dit rien, il regarde à droite à gauche, fin de l’incident. Je pense qu’en 2007, il s’en foutait un peu de la route. Seul la piste comptait pour lui.

Brad se tenait devant moi avec le maillot jaune dans les mains
Mais je m’étais trompé, il avait entendu et reçu le message. Quelques semaines plus tard, Brad remporte le prologue du Dauphiné et prend la tête du général provisoire . Là j’étais vraiment heureux car je ne m’étais pas gouré sur le bonhomme. Le soir, je rejoins le team et je me pose dans ma chambre d’hôtel en attendant de voir tout le monde. Quelqu’un frappe alors à ma porte. J’ouvre et Brad se tenait devant moi avec le maillot jaune dans les mains. Il me regarde et me dit : « Tiens « Marie- Georges », c’est pour toi. Merci pour tout« . Sur le maillot, il m’avait dédicacé sa victoire. J’étais très touché et ému. Le gars m’avait répondu de belle manière. »
Tu savais quelle serait la réaction de Bradley Wiggins?
« Je dirai oui et non, une réponse de Normand (rires). Je savais qu’il était capable du meilleur et aussi du pire. Mais il lui fallait une étincelle. J’ai commencé à le comprendre quand nous sommes partis à Manchester, voir l’équipe de piste nationale que Dave Brailsford avait monté pour gagner tous les titres (à cette époque, le Team Sky n’existait pas). Les mecs étaient des passionnés à la pointe du progrès. La piste est une religion en Angleterre et beaucoup plus que la route à cette époque là. Brailsford et Ellingworth avaient apporté le SRM bien avant que tout le monde ne l’utilise.
Ils étaient en avance sur tout le monde. Ils sont des passionnés qui se jettent entièrement pour leurs objectifs
Quand ils allaient sur des manches de coupe du monde, ils filmaient tous les pistards et surtout ceux qui étaient les maîtres à l’époque. Ils passaient des heures à visionner la façon dont ils pédalaient. Ils faisaient des statistiques sur leurs rivaux , observaient la façon dont l’un gagnait lorsqu il attaque jambe droite en bas et l autre perd s’il est attaqué jambe droite en bas ….. Ils passaient des heures dans des souffleries afin de trouver la position idéale et même le casque parfait. Ils étaient passionnés et voulaient tout gagner. Et ils l’ont fait à plusieurs reprises par la suite, ils étaient en avance sur tout le monde. Ils sont des passionnés qui se jettent entièrement pour leurs objectifs. Brad ou Geraint Thomas sont de cette école là. »

La passion comme moteur, l’envie absolue de réussite et de reconnaissance
« Oui, c’est exactement ça. Un jour, vers la fin 2007 je crois, Bradley devait rejoindre le Royaume Uni pour rejoindre l’équipe sur piste. Mais il n’y avait plus de vols et plus de chambres d’hôtels pour attendre le prochain. Alors je lui propose de dormir à la maison. Il reste surpris car je suis un « DS » à ses yeux mais il accepte. On reste là tranquille à discuter à la maison cette nuit là. Du coup, on a appris à se connaître un peu mieux. On avait quelques points communs sans le savoir . On cherchait à prouver que l’on existait, que l’on avait un truc à faire, que l’on avait besoin de reconnaissance et notamment celles de nos pères. »

Il aurait pu devenir un grand musicien mais il avait choisi le cyclisme pour parvenir à ses rêves
`C’est à dire?
« Le père de Bradley, Gary, était un champion sur piste . Le divorce et l’absence de son père furent déterminant dans sa quête même quand Brad est devenu champion du monde sur piste juniors 1998, Gary n a pas eu les mots pour féliciter son fils . C est « hard » pour un enfant qui attend de son père cette lueur de fierté qui fait la différence, Brad avait besoin de lui montrer qu’il était plus fort que lui, il voulait sa reconnaissance et pour ça le cyclisme, le sport de son père, était son tremplin. Mais Brad a était bien plus loin que son père..
Il avait était DJ avant, un passionné de musique et d’histoire. Il a adopté le look de ces gens là, l’attitude provocante et nonchalante de ce monde d’ouvrier anglais d’où il venait comme le groupe Oasis. Il aurait pu devenir un grand musicien mais il avait choisi le cyclisme pour parvenir à ses rêves alors que personne, pas même son père, ne misait sur lui.
Je me suis reconnu un peu en Brad, dans son envie. Par contre, à l’inverse de Brad, j’ai eu une enfance heureuse avec une famille autour de moi. Mais j’avais choisi le cyclisme dans ma vie alors que chez moi personne n’aimait ça. Tout seul, j’ai gravi les échelons et puis un jour, sur le Tour de France à Avranches, mon père a réalisé mon parcours. Les yeux embués, il m’avait demandé pardon de pas avoir été là pour m’épauler. Il était fier de ma réussite. Je lui ai répondu que si il m’avait protégé et épaulé, je n’aurai jamais eu cette faim pour atteindre le sommet de mon rêve. Brad avait aussi ce besoin de reconnaissance , une revanche sur cette vie qui ne lui avait pas fait de cadeau, il faut en vouloir pour quitter sa culture, son confort, pour s installer dans un appartement, seul, sans maîtriser la langue du pays d accueil. »

Une anecdote sur la passion de Wiggins pour l’histoire du vélo?
« Il y en a plein. Il connait l’histoire du cyclisme mieux que quiconque. C’est un collectionneur qui plus est. Il a des pièces magnifiques mais il ne les achète pas pour en faire de l’argent. Non, il les conserve car elles racontent une histoire. Un vrai passionné. Une anecdote que peu de gens connaissent justement. Sur le Tour, lors de l’ascension du Mont Ventoux, en 2009, il est dans le groupe de tête. Et sur son vélo, il y avait la photo de Tom Simpson. Il l’avait mis pour lui rendre hommage, à la mémoire de ce champion Britannique mort sur ces pentes. Il tenait vraiment à mettre sa photo, question de respect. Au général, il termina 3ème cette année là. Je savais dès lors qu’il pouvait le gagner. »
Pour Brad tout devait être « Wonderwall » !
Une relation donc forte entre vous?
« Peut être… Je ne sais pas, j’aime à le penser. Mais j’avais compris le mental de l’homme et par conséquent le genre de coursier qu’il était. Bradley, son moteur, c’est la passion, la vie par tous les bouts, à l’extrême. Rien n’est plat chez Brad, il fait tout à fond, il a besoin de ça. Quand il dit qu’il va gagner telle ou telle épreuve, vous pouviez être sûr qu’il allait tout mettre en œuvre pour la gagner et qu’il allait bosser fort pour ça, motivé par son passé et de celui de rentrer dans l’histoire, ll voulait marquer de son empreinte ce sport dont il connaît l histoire! Il ne voulait pas regarder son passé avec cette colère ou une certaine aigreur mais avec cette compréhension et cette capacité à pardonner, un peu comme la Song du groupe qu’il aime bien « Oasis » avec « Don’t Look back in anger« car pour lui tout devait être « Wonderwall » ! »
En 2008, il quitte Cofidis pour High Roah HTC. Vous avez gardez contact?
« Oui. Quand il est parti, j’ai reçu un colis, une boite en bois. Je l’ouvre et c’était une bouteille de vin Grand Cru. Sur le bois il avait inscrit « Merci pour cette merveilleuse année. Tu es un véritable ami. Merci pour tout« . C’est ça Bradley Wiggins. Il n’oublie rien et aime rendre la pareille à ceux qui ont cru en lui. Un homme généreux, dans l’effort comme en amitié, un homme qui ne calcule pas ses émotions. »

Alors qu’il marchait pour chercher sa médaille d’or sur le podium JO à Pékin, il me réponds alors au téléphone « Hey, Marie Georges! »
Et par la suite?
« On s’est revu chez Garmin par la suite. Mais en 2008, quand il est devenu champion Olympique de poursuite, j’étais devant ma télévision. C’était à Pékin. Je prends le téléphone en pensant lui laisser un message car il venait tout juste de gagner. Mais il décroche à ma grande surprise alors qu’il venait juste de gagner. Je lui dit de raccrocher tout en le félicitant mais il me dit « Hey, non, c’est bon, je me dirige vers le podium, c’est cool de te parler. Je vais recevoir ma médaille et merci à toi« . A l’écran, je le regarde se déplacer avec le téléphone sur l’oreille à l’autre bout du globe.
Puis ensuite, chacun est parti de son côté, dans des équipes différentes. Je l’ai revu sur le tour de France des années plus tard mais je ne voulais pas le déranger. Il m’a aperçu et il est venu vers moi avec ce grand sourire en m’appelant « Hey, Marie Georges! » Il m’appelait Marie Georges car c’était le prénom de la Ministre des sports à notre époque. Tout le monde avait un surnom avec lui. »
Le Tour 2012 était le seul tour à sa portée, il le savait, il l’a gagné
Justement le Tour de France 2012, il le gagne. Ce n’était pas une surprise pour vous?
« Non, j’en été sûr. Ce tour 2012 était le seul tour qu’il pouvait gagner. Il venait de l’école de la poursuite, il avait bossé énormément sur la route et sur les cols mais ce n’était pas un super grand grimpeur comme Bernal ou Froome. Ce tour 2012 n’était pas vraiment montagneux et il y avait des longs contre la montre. Il s’était préparé à fond pour ce tour, il savait qu’il n’avait qu’une cartouche et il ne l’a pas raté. Le Tour 2012 était le seul tour à sa portée, il le savait, il l’a gagné. Il a tout donné pour ça. Il faut être du cyclisme pour comprendre comment il a gagné ce tour, il faut connaitre l’homme pour comprendre pourquoi il l’a fait »
Paris Roubaix, vous pensez que c’est son plus grand regret?
« J’ai une anédocte à ce sujet. Je savais que Brad voulait Paris Roubaix, cette enfer! Un jour, il était l’un des favoris, il l’avait annoncé comme à son habitude, histoire de provoquer et de se mettre lui même la pression. Je lui ai alors envoyé un texto : « Brad, si tu gagnes à Roubaix, prends la guitare et ton ampli sur le podium et joue leurs un solo« . Je suis sûr qu’il l’aurait fait si il l’avait gagné, il aurait marqué cette date à sa manière »
Cela ne vous a pas étonné quand il a annoncé son envie de devenir éducateur social, notamment auprès des jeunes?
« Non, car il est passé par là. Un jour il a croisé des gars qui pouvaient le sortir de ce monde et de lui permettre d’atteindre ses rêves. Il veut rendre la pareille et être là pour ces jeunes, pour leurs expliquer que malgré la dureté de la vie, on a tous une chance et qu’il faut pas la louper ».
Quelques mots pour décrire Bradley Wiggins?
« Pff…. Entier, passionné, généreux, sensible, provocateur mais un amoureux des gens, un grand champion, un colosse aux pieds d’argile. J’espère le revoir sur le tour de France et l’entendre m’appeler « Hey Marie Georges! » et que l’on ouvre enfin cette bouteille de vin.Vraiment il me manque depuis ce temps. »