Ce que l’on aime dans ce sport ou plutôt dans cet art, c’est aussi cette folle aventure humaine vécue par ces passionnés. Certains, certaines vont jusqu’au bout d’eux mêmes pour tenter d’atteindre leurs rêves.
Celui de Fatima Zahra El Hayani, 23 ans, était pourtant des plus mal engagés au fin fond de l’Oued Beht. Issue d’une famille très modeste, la gamine grandit dans les ruelles de Sidi Slimane. Fatima se démarquait déjà des autres fillettes de son âge. Très tôt, elle tapait dans le ballon et dribblait les garçons, elle rêvait de devenir joueuse de foot. Puis un jour, elle découvrit, presque par hasard, cet engin qui pouvait l’emmener très vite et très loin de ces rues, de sa ville, de son pays.
Son père lui promis alors que si elle décrochait son certificat d’études, elle aurait son propre vélo. Une fortune pour le patriarche mais qu’importe, c’était le rêve de sa fille. Pas une une merveille de technologie mais un simple deux-roues qui lui permettrait d’avancer et surtout d’aller au collège à une dizaine de kilomètres de là. Fatima a à peine 16 ans, l’histoire commence…
Depuis ce jour, elle n’a jamais lâché son guidon, son rêve et parviendra même à monter 9 fois (3 fois en or, 3 fois en argent, 3 fois en Bronze) sur les podiums des championnats d’Afrique sur piste et de prendre un titre sur route chez les juniors dames. Cette saison, elle est la championne du Maroc sur route en titre, vice championne du contre la montre (sur le chrono, elle avait pourtant 2min d’avance sur sa rivale à l’arrivée mais c’est le Maroc, allez comprendre! )
Puis il y a l’histoire d’une rencontre, celle du genre qui vous change la vie à jamais. Le Royaume choisit le Vannetais Yann Dejan (le coach breton) comme Directeur Technique National. Le breton entend parler de cette gamine au caractère bien trempé qui n’a pas froid aux yeux, dotée d’une langue bien pendue et aux capacités physiques incroyables. Il l’a rencontre et ne la lâchera plus. A sa démission, il l’emmène avec lui en Bretagne avec comme objectif; la faire gagner et ceci devant les européennes, lui permettre de faire grandir son rêve. Un pari un peu fou entre les deux s’engage.
Actuellement à Baud en Bretagne, elle apprend les ficelles de cet art. Sous la pluie (parfois) ou les rafales de vent (souvent) des côtes du Morbihan, elle enfourche son vélo chaque jour flanqué d’ Yann Dejan à ses côtés.
Lors des derniers Jeux d’Afrique il y a quelques mois, elle disputa sa première course en VTT. Sur un bike cassé, elle terminera 3ème à cause d’une crevaison. Pas si mal pour une première fois, non?
Lors de la visite du président de l’UCI, David Lappartient, venu soutenir l’équipe nationale d’Haïti entrainée par Yann Dejan, l’histoire de Fatima arrive aux oreilles du patron du cyclisme mondial. On la lui présente, il l’écoutera et restera épaté par la volonté determinée de la championne, de l’histoire de cette gamine venue des terres de Sidi Slimane .
Fatima Zahra El Hassani, comment es tu arrivé dans le cyclisme?
Fatima Zahra El Hayani ; « J’avais 15 ou 16 ans quand mon papa m’avait offert un vélo. Chaque jour, je devais parcourir plus de dix kilomètres pour arriver au collège. Et en dépit de la difficulté du trajet (montagne), ce fut un véritable plaisir pour moi. Une découverte
Une fois, j’ai eu un problème mécanique. Je suis alors passée chez le marchand de cycles. C’était d’ailleurs à la fin de la journée, le soleil était sur le point de se coucher et je devais rentrer chez moi avant la nuit. Il m’a dit qu’il n’avait pas le temps de regarder et encore moins de réparer mon vélo. Alors j’ai pris les outils et je l’ai réparé moi même.
Le propriétaire du magasin m’a regardé, un peu étonné, et m’a demandé si je voulais faire du cyclisme. Son père était président du club de Sidi Slimane. Je l’ai rencontré par la suite et j’ai pris ma première licence. Voilà comment tout a commencé. »
« J’ai roulé 160 km pour rencontrer Yann Dejan »
Comment es tu arrivé en France et pourquoi ce choix?
« Encore une rencontre. Yann Dejan était notre directeur technique national à la fédération Royale du Maroc. Un jour, me sachant en difficulté personnelle et financière, il me fait convoquer à la fédération pour un entretien. Je n’avais pas d’argent pour m’y rendre et j’ai donc roulé 160km à travers les montagnes pour aller le voir. Arrivé à Casablanca, mon entraîneur national Mohamed Bilal me servait de traducteur car je ne parlais pas un mot de français à l’époque.
Yann m’a écouté et m’a proposé de venir vivre avec eux à Casablanca. Il m’a dit qu’il participerait à couvrir mes besoins avec son propre argent. Il pensait que j’avais toutes les qualités pour devenir une championne. J’étais sans voix. Je suis restée avec lui et nous nous sommes jamais quittés. Je vis en France désormais chez Yann, avec sa femme et ses enfants. Il est devenu comme mon père, ils sont ma famille. Jamais je n’aurai imaginé que ce rêve d’enfant soit devenu réel. »
On te connait comme une coureuse sur piste, plusieurs podiums sur les championnats d’Afrique, championne du Maroc sur route mais tu décroches pourtant une médaille de bronze aux derniers Jeux d’Afrique pour ta première compétition en VTT. Comment as tu obtenu cette médaille?
Arrête de pleurer. Prends le départ et donne le maximum.
« Oui, je n’avais jamais fait de VTT en compétition auparavant. Je l’ai fait à la demande de Yann. Mais à 10 minutes du départ, le vélo fourni par la fédération ne marchait plus. J’ai appelé Yann au téléphone pour lui dire que je ne prendrai pas le départ. Il m’a alors dit « Arrête de pleurer. Prends le départ et donne le maximum. » Je l’ai écouté et j’ai tout donné. J’étais seule en tête, j’avais course gagnée mais je perce dans le final et 2 filles me passent devant. C’est l’un de mes souvenirs les plus amers malgré médaille de bronze, l’or était si proche »
Au Maroc, c’est déjà difficile pour une femme d’être reconnue. Mais dans le cyclisme, les coureurs hommes me respectent et me soutiennent énormément
Est ce difficile d’être une cycliste féminine au Maroc?
« Au Maroc, c’est déjà difficile pour une femme d’être reconnue. Mais dans le cyclisme, les coureurs hommes me respectent et me soutiennent énormément. C’est agréable de se savoir soutenue par sa communauté. Mais en ce qui concerne la fédération, c’est très compliqué. J’attends toujours qu’elle me paye mes primes de victoires mais heureusement pour moi, Yann m’a trouvé des sponsors »
Qui sont les sponsors qui te suivent dans cette aventure?
« La société GS Sport qui me fournit mes vêtements et mon matériel. Sinon, il y a aussi le plus gros producteur de fruits et légumes du Maroc qui me finance dans mes déplacements et mes besoins de tous les jours. Je dois les remercier de cette confiance. Peu de gens ferait ça pour une jeune marocaine partie de rien. Je leurs dois tout, à Yann, aux athlètes masculins du maroc et à mes mécènes. Sans eux, je ne serai pas ici actuellement.
Le cyclisme masculin africain est en pleine expansion. Est ce pareil pour le cyclisme féminin?
« En Afrique, le cyclisme est en voie de développement et il progresse très vite. Ceci grâce à l’UCI qui nous aide énormément. Mais il y a encore un monde entre l’Afrique et l’Europe comme sur les organisations des courses, les organisations des fédérations, le niveau des entraîneurs et des athlètes.
Chez les hommes, il y’a déjà de nombreux coureurs africains dans les équipes WorldTour et ce n’est que le début car L’UCI nous offrent vraiment les moyens d’y arriver.
Par contre pour nous les filles en Afrique, il n’y a rien de la part des fédérations
Par contre pour nous les filles, il n’y a rien de la part des fédérations. Par contre, en Europe, il y a tout. Ici c’est le berceau du cyclisme. Les compétitions sont nombreuses et le niveau est très élevé chez les filles comme chez les hommes. J’ai encore beaucoup de travail, énormément de choses à apprendre mais j’y arriverai en étant confrontée aux meilleures. Je progresse très vite.
Crois tu en l’avenir du cyclisme féminin en Afrique?
« Pour l’instant, le niveau féminin en Afrique n’en est qu’à ses balbutiements mais j’ai la certitude que l’on va y arriver. Les meilleures seront présentes dans les équipes professionnelles. J’en suis sûre car avec l’envie et le travail, on peut déplacer des montagnes. Je veux aller au delà de mes rêves. »
Retourneras tu au Maroc bientôt?
« Non, il n’y a pas de retour prévu. Je vais m’entrainer hiver ici et les compétitions ensuite avec l’UCK Vannes. Je ne retournerai qu’au Maroc que pour le renouvellement de mon visa de 6 mois. L’ambassade de France a été vraiment bien en me procurant ce visa. »
Photos AGENCE REUTERS pour Be Celt