L’automne arrive et comme les feuilles mortes, de nombreuses feuilles de contrat viennent mourir sur le bord des routes. La saison cycliste se termine et les carrières de certains par la même durant cette triste période pluvieuse.Ce changement, quelques uns l’ont déjà préparé. D’autres se sont refusés à le voir arriver où ne l’ont pas vu venir. Ce passage après la classique des feuilles mortes, Bruno Cornillet l’a passé il y a une bonne vingtaine d’années. Lui s’y attendait, s’y préparait, bien avant même de devenir professionnel.

Tout gosse, il avait deux grands rêves; celui de devenir coureur pro mais surtout celui de voler là haut, au delà de sa Bretagne natale. Ses rêves, il les a réalisés, peu d’entre nous en ont été capables. Etre coureur n’était qu’un merveilleux chapitre, une fantastique aventure humaine. Il savait qu’il y avait le mot fin au bout de l’histoire, que ce rêve n’était qu’une parenthèse de sa vie.
Lui aussi a été ce champion qui brillait sur les plus belles batailles, lui aussi a fait la une des médias. Souvent son nom apparaissait dans les journaux locaux, nationaux et bien au delà. Puis un jour, après une bonne dizaine d’années de durs labeurs, la frénésie de la vie de champion s’est arrêtée. Le téléphone ne sonnait plus, son nom ne figurait plus en haut de l’affiche. Au fil des mois, il redevint cet anonyme dans la foule, sur nos bords de routes. Mais après tout, c’est ce que Bruno Cornillet voulait.
Ce retour dans l’ombre, il s’y attendait, il le désirait même. Bien des années avant sa retraite de coureur, il avait passé son brevet de pilote, suivant les formations au rythme des saisons.
Mais combien sont il à préparer vraiment la sortie ? Ce ne sont pas les équipes qui les engagent qui vont s’échiner à les aider à passer le cap de la reconversion. Les équipes sont là pour la gagne et montrer les couleurs des sponsors, ce sont des « entreprises » à faire tourner comme le dit Emmanuel Hubert du team Arkea Samsic. Seuls quelques rares coureurs auront l’honneur de devenir directeur sportif. Mais pour la grande majorité, c’est un grand saut vers l’inconnu.
Bruno revient parfois sur les courses, sur les événements, histoire de tailler « le bout de gras » avec les potes de tranchées, histoire de retrouver l’odeur de cette vie d’antan. Les anciens causent de leurs nouvelles vies. Quelque chose frappe alors le breton. Tous se reconvertissent sans aide, sans personne. Certains ont dérouillé, laissé quelques plumes par ce passage de la lumière à l’ombre, d’autres ne s’étaient pas préparés à ce rideau qui tombe soudainement.
A l’inverse du football, rien dans le cyclisme n’est prévu pour ceux qui quittent la « famille ». Seuls les premiers auront une chance dans le monde des médias comme consultants ou comme DS. Très peu, au final, quand on compare la masse de coureurs.

Bruno Cornillet, vous avez l’air très concerné par le sort des coureurs et notamment par la reconversion. Pourquoi ?
Par solidarité avec les gars. Que reste t-il de la solidarité des années 80-90? Pourquoi ne se serre t-on plus les coudes pour aider l’un des nôtres? Je suis l’exemple vivant de la cohésion qui existait à notre époque. Je me souviens de François Alaphilippe, alors président de la FFC. Ce grand monsieur avait fait voter un crédit de 100 000 francs pour financer ma formation de pilote. Sans lui notamment, je ne serai pas devenu ce que je suis devenu.
il y en a beaucoup, des grands vainqueurs, qui vivent de ce RSA.
On ne veut plus voir des grands champions vainqueurs d’étapes sur le Tour de France, sur les plus belles classiques, vivrent du RSA. Mince, ils ont porté très haut et fièrement les couleurs nationales sur les 4 coins du globe. Des champions de cette trempe, il y en a beaucoup qui vivent de ce RSA.
Je me souviens d’un super gars qui courait pour la grande équipe Renault ELF en 85, un très bon coureur. Il est mort SDF. Je n’ai pas envie que l’un d’entre eux connaisse ce sort. On se doit de s’entraider.
Il y a en plein qui partent sans rien, « une main devant, une main derrière », il y en a trop. Ca me fait vraiment mal au coeur car personne ne semble se soucier d’eux. Certes, il y a bien des bilans de compétences, des réunions pour savoir faire un CV. Mais ce n’est pas suffisant au regard du travail que ces gars ont fait pour leurs pays. Je me souviens de la main que l’on m’a tendue, je dois beaucoup au cyclisme, je n’oublie pas d’où je viens.
Tu vois, une fois par an on se retrouve au critérium des vieilles Gloires à Pipriac. Je retrouve les vrais amis du peloton. Ceux qui sont restés solidaires à cet esprit. Ceux là ne sont pas du genre à pleurer devant les caméras, non. Eux, ils aident les gars après la carrière pro.

Mais il y a déjà des aides comme les primes de départ de l’UCI justement?
Oui, c’est bien mais est-ce suffisant? Je sais que ça paraît un peu fou de dire ça avec la crise actuelle mais cette prime ne concerne que les gars qui ont fait 5 ans de WorldTour ou de pro-conti. Non, je parle d’une véritable assistance.
Créer une structure d’assistance et de réseaux
Déjà, pourquoi donner une dizaine de milliers d’euros directement au coureur. Pourquoi cet argent ne pourrait il pas servir à payer des formations ou des cours si ce dernier en a besoin. Certes, d’autres ont préparé leur départ bien avant et cette prime peut leur servir pour se lancer et pour ceux qui n’ont pas encore préparé leur retraite, elle peut servir à payer une formation.
D’autres idées comme un crédit (auprès de la LNC ou de la FFC) pour les aider à monter leurs entreprises. Cela se fait dans le monde du football, de la voile, de l’athlétisme. Mais rien de ce genre n’existe dans le cyclisme.
On se donne bonne conscience en donnant cette prime à certains coureurs (WorldTour et pro-conti) mais elle n’aide pas vraiment le coureur si rien n’est mis en place à côté.
Il y aussi les rencontres avec les anciens qui ont passé ce cap. Pourquoi ne pas monter une équipe composée d’ex pros pour aller en parler aux gars du peloton. Très peu de gars ne savent pas ce qu’ils vont faire après tant d’années de sacrifies. Beaucoup ont peur de l’inconnu.

Le cyclisme est un sport ingrat. On ne retient que le vainqeur, durant la carrière et au moment de la reconversion
Oui, j’ai envie de créer une véritable structure pour venir en aide aux coureurs du peloton. Tu sais, ce sport est ingrat du début à la fin. Il est beau certes mais très dur. On n’aide que les vainqueurs. Les coéquipiers se sacrifient pour eux dans les équipes et ces vainqueurs auront des portes de sorties en fin de carrière comme consultants TV ou DS. Mais ils ne sont pas nombreux. Que devient le reste du peloton?
Le passage de la lumière à l’ombre
Par fierté, certains ne diront pas qu’ils sont vraiment dans l’embarras. Nous avons tant l’habitude que les médias parlent de nous, que les foules nous portent. Si on ne prépare rien, on sera comme la cigale et on se trouvera fort dépourvu quand la bise sera venue comme disait La Fontaine.
Donc il y a aussi ce côté psychologique à préparer. Leur parler de cette nouvelle vie, de retomber dans l’inconnu. Certains ne l’acceptent pas et perdent leur confiance, puis leur estime de soi et la spirale infernale arrive. C’est très dur de s’en sortir.
Organiser une période de rencontre entre des dirigeants d’entreprises et les coureurs
Des colloques entre chef d’entreprises et coureurs. J’ai croisé de nombreux chefs d’entreprises qui ne demandent qu’a recruter des sportifs. Pourquoi? Car ils ont cette discipline de la vie, du respect et l’esprit de compétition. Je lisais un de tes articles sur Gustave Rideau, le patron de VERANDA RIDEAU. Il embauche énormément de coureurs au sein de son entreprise. Il n’est pas le seul dans ce cas là mais peu de pros le savent. Donc pourquoi ne pas organiser une période de rencontre entre ces dirigeants et les champions durant 3 ou 4 jours. Cela se fait dans le monde du football alors pourquoi pas dans le cyclisme? Je me souviens de mon premier employeur, Michel Dubreuil (PDG de Régional Airlines). Il aimait le cyclisme et aussi notre culture. Il recherchait cet esprit dans son entreprise.
Ce sont juste des premières idées . Il faut que l’on en parle plus sérieusement. J’ai envoyé un courrier à l’UCI dans ce sens. J’espère qu’il ne restera pas sans réponse. Je pense à tous ces gars qui ont tout donné pour le cyclisme mais qui se sentent à l’abandon quand leur passion leur demande de quitter la scène…
Bruno Cornillet a reçu le prix de la reconversion masculine à La Toussuire par les groupes CDES (Centre de Droit et d’économie du sport) en 2018.