5 h du mat et tombe du plume. Je dois piloter un avion pour Turin dans quelques heures, c’est mon métier, pilote de ligne. Mais avant ça, je prends mon thé « sacré » et lis le journal du p’tit matin. Pour éviter les mauvaises nouvelles, je ne lis que la page des sports. Ca m’évite un blues matinal et cela me rappelle aussi mon passé de coureur professionnel auprès des plus grands comme mes amis Bernard (Hinault) ou Greg (Lemond). C’est étrange, je n’ai jamais pu couper ce cordon avec ce cyclisme qui m’a tant donné et à qui j’ai aussi tant souffert. Une sorte de relation masochiste peut-être mais bon dieu, ce qu’elle m’a fait du bien… Mon passé, mon histoire, mes racines, mes rêves impossibles et cette école de la souffrance pour tenter d’atteindre son but comme celui de piloter des avions à plus de 5000 mètres du plancher des vaches…

Bref, avalant quelques gorgées, je tombe sur l’interview d’un ami dont je n’avais plus de nouvelles depuis quelques temps. Son nom vous dira peut être quelque chose: Gianni Bugno. Double champion du monde, 15 étapes de grands tours, un tour des Flandres, un Milan San Remo et cet incroyable Giro 90 gagné avec le maillot de leader de la 1ère à la dernière étape, l’un des derniers patrons du peloton. Gianni est comme ça, il fait les choses à bloc, avec cette passion un peu folle… Sa vie est un combat. Outre le cyclisme, lui et moi avons la même passion des airs, celle de voler au dessus de notre bonne vieille terre. Lui aussi est pilote, il est aux commandes d’hélicoptères. Je me rappelle que je lui en avais parlé peu avant ma retraite cycliste. Il m’avait encouragé d’y aller, de foncer car on ne vit qu’une fois et qu’il faut aller chercher ses rêves de gosses, non de les attendre. C’est ça Gianni, un battant, un rêveur et un amoureux de la vie, de la condition humaine.
Gianni n’a jamais été le genre de champion à se la jouer diva à grands coups de « selfies », ni l’auteur de déclarations tonitruantes aux médias, histoire que l’on n’oublie à jamais son nom. Non, Gianni , lui, est un homme dans le plus noble sens du terme.
Mais voilà, il n’a pas pu, non plus, couper avec le monde du cyclisme. Normal me direz vous avec tout ce qu’il a donné à son peuple Azuréen et à la planète cyclisme entière. Mais il n’a pas été rejoindre une équipe, ni une organisation de course, non. Gianni s’est investi dans le syndicat de coureurs appelé CPA (Cyclistes Professionnels Associés). Mais qui est passé dans ton crâne, Gianni, pour aller te plonger dans un tel travail?
Je prends mon portable, je compose son numéro et je donne rendez vous à Gianni, histoire de nous rappeler nos bons vieux souvenirs et rêver que les coureurs soient enfin écoutés dans un futur proche…

Bruno Cornillet: Gianni, mon ami, que deviens tu?
Gianni Bugno; » Ciao Bruno! Bien, très bien.Tu vois, tu es devenu pilote. Je te l’avais dit sur notre dernière course de foncer et tu l’as fait. En plus pilote de ligne, la classe mon ami. Tu voles au dessus des nos routes, sur celles de nos courses (rires). »
Oui, Gianni. Et toi, tu pilotes des hélicoptères?
« Oui, c’est mon véritable métier. Je traverse l’Italie et je fais ce dont je rêvais après celui d’avoir été coureur tout comme toi. J’adore ce job…
Explique moi pourquoi es tu rentré dans le CPA?
« Le CPA, c’est une continuité de notre passion. C’est une mission et non un travail, je ne suis pas salarié mais bénévole. Comme tu le sais, jamais le vélo n’a autant été à la mode. Le produit ‘cyclisme’ est exceptionnel mais il doit être mis en valeur. Une réforme en profondeur et concrète, censée améliorer le monde des deux roues, est certes la bienvenue à condition qu’elle apporte de la fraîcheur dans le milieu et le fasse progresser en termes économiques et de visibilité. »
J’ai lu dernièrement que tu te représentais de nouveau à la tête du syndicat justement. Pourquoi tu continues à vouloir te battre pour les coureurs?
« C’est une question de parole, de pacte. On veut cette vraie réforme de notre cyclisme. Tu vois Bruno, quand nous étions coureurs, je me suis aperçu qu’il y avait un gros travail à faire pour améliorer nos conditions de travail. Notamment sur la sécurité des gars durant les courses. Dernièrement, sur la Vuelta, il y a eu un incident à l’arrivée de la 12ème étape. L’un des gars, Van Baarle, a été blessé et a été contraint d’abandonner l’épreuve. Ce n’est, hélas, pas un cas isolé. J’ai poussé mon coup de gueule et j’espère avoir été entendu par les organisateurs et l’UCI. Nous devons faire de notre mieux pour que les organisateurs des manifestations à chaque niveau déploient leurs meilleurs efforts pour protéger les participants. La bonne issue d’un événement ne peut faire abstraction de la sécurité.

Il n’est pas normal que l’on perde des emplois
Mais il y a aussi tant d’autres sujets comme sur l’abaissement du nombre de coureurs sur les courses. J’étais contre cette réforme qui n’a pas donné les résultats escomptés. Il n’est pas normal que l’on perde des emplois et c’est le job du CPA de défendre nos droits du travail. Les emplois ne devront pas subir d’autres réductions et je me battrai même pour rétablir le niveau d’il y a au moins un an. Je suis le seul à avoir voté contre la proposition avancée et adoptée cette année par l’UCI. Des raisons de sécurité ont justifié cette initiative. Il ressort cependant à l’évidence qu’il y a encore des chutes durant les courses même si chaque équipe compte désormais un coureur en moins qu’auparavant. Tout compte fait, il s’impose de revenir sur le sujet. »
J’ai lu que l’ancien coureur David Millar veut prendre la tête du CPA. J’ai tenté de trouver son programme, en vain. Sinon, j’ai lu des choses sur le « droit à l’image » ici et là. Par manque de clarté sur ce sujet, j’ai un peu peur que cela ne tombe entre les mains de sociétés privés qui flairent le « jackpot » mais au détriment du coureur.
Les conditions de travail du coureur ne doivent pas être une affaire de business
« J’ai un grand respect pour David Millar en tant qu’athlète. C’est bien que d’autres, et plus jeunes, se sentent concernés pour la cause maintenant. Mais je ne connais pas vraiment non plus son programme. Il ne le dévoilera que si il est élu je crois. En fin de compte, je ne m’en préoccupe pas. Pour l’instant je continue notre combat pour les gars et rien d’autres. Seul cette mission m’importe.
Pour la question du droit à l’image, j’en ai entendu parler bien sûr et je comprends tes craintes. Oui, effectivement, il ne doit profiter qu’au coureur en premier lieu C’est pour cela que je veux travailler plus avec les équipes, leurs parler de cet avenir. Il nous faut organiser des tables rondes pour trouver le meilleur compromis pour les coureurs et leurs équipes. Bien sûr, tout comme toi, je m’opposerai à ce que des entreprises privés gèrent ça car le coureur en sera le premier lésé. Les conditions de travail du coureur ne doivent pas être une affaire de business. »
Tu n’as pas peu que vos efforts, depuis des années, ne soient compromis si il y a un changement de président?
« C’est vrai que l’on travaille depuis des années pour cette réforme. Un travail de longue haleine et très prenant. Il faut apprendre à être patient. C’est un peu comme lorsque nous étions coureurs. Nous n’arrivions pas au départ d’un Grand Tour à la dernière minute, on l’avait préparé sérieusement depuis des années.
On travaille avec L’UCI et le CCP (Conseil du Cyclisme Professionnel) et nos travaux commencent à porter leurs fruits. C’est pour ça que je veux continuer au sein du CPA, pour maintenir cette continuité. Ce serait dommage que tout s’écroule là, maintenant, au détriment des coureurs. »
J’ai fait un pacte avec les coureurs que je souhaite respecter
« Je te l’ai dit, toutes nos propositions sont axées autour autour d’une meilleure qualité de vie et du travail des coureurs, notre priorité. J’ai fait un pacte avec les coureurs que je souhaite respecter. Depuis 2010, je travaille dessus à fond et je ne lâche rien. »

Qu’est ce qui te plaît dans cette mission au sein du CPA? Pourquoi t’investir autant alors que tu as ton job à côté de cela?
« C’est la condition humaine du coursier. J’ai été ce gars, tu l’as été aussi. Rappelles toi de ce que l’on voulait à l’époque, de ce que l’on pensait. On désirait changer les choses pour nous autres et pour les générations futurs. C’est ça qui me plaît, ce côté humain, défendre l’homme et lui permettre d’en vivre au mieux.
Celui qui pense faire du business avec les conditions du métier de coureur se trompe. Je n’ai pas de société qui travaille dans et pour le cyclisme, sinon il y aurait un conflit d’intérêt. Je suis pilote de métier, tout comme toi et le CPA est une mission qui me porte sincèrement à coeur depuis que je suis coureur pro. Je veux vraiment améliorer les choses pour l’avenir de notre sport, celui de nos gars, j’ai fait ce pacte avec les coureurs. »
L’élection de la présidence du CPA aura lieu le 27 septembre prochain lors des championnats du monde à Innsbruck.