[dropcap]J[/dropcap]e ne suis qu’un modeste et vieux coureur. Cet art, je le pratique depuis de nombreuses années, je ne me souviens pas de mes premiers coups de pédales tout comme mes premiers pas. De mes années cadets à mes victoires chez les professionnels comme sur le Tour de France, sur les routes de Paris-Nice où j’ai même porté le maillot de leader quelques jours et quelques autres belles bastons encore, il a été le sens de ma vie de par ses valeurs. Oh non, rien de bien méchant, mais juste ces magnifiques batailles gagnées avec cette passion et cette rage venues des mes délires de gosse, et surtout grâce à ceux qui ont cru en moi, quand je rêvais alors de lever les bras sur la plus grande course du monde. Je l’ai fait en 1989. J’ai réalisé mon rêve. Grâce à eux.
Je me permets donc de vous envoyer cette missive, moi ce grand rêveur devant l’éternel. Je ne sais pas si vous lirez cette petite bafouille ou si je pisse dans un violon, mais je tente ma chance au cas où. De mon atelier au fond de ma forêt jurassienne, parmi mes sculptures, je vous ai écouté parler de rendre plus attrayant notre cyclisme. Vous nous avez évoqué le « Salary cap », la suppression des capteurs de puissance en course, des oreillettes et bien d’autres choses encore. Oui, effectivement, sur la question technologique, je vous rejoins. Sur les courses, la machine à pris une part du contrôle de l’homme en oubliant ce côté humain – un peu fou – qui nous donne des ailes quand on part à la bataille. Ce shoot d’adrénaline qui nous fait oublier la douleur la plus insoutenable.
Sur la question des « Salary cap » par contre, je rejoins Dan Martin. Pourquoi minimiser la portée d’un sponsor alors que notre cyclisme peine à trouver des partenaires ? Nous ne sommes pas le football, ni le base-ball ou encore le rugby, dont les médias internationaux couvrent largement les plus grands moments. Nous sommes ce cyclisme, ce parent pauvre du sport, celui qui frappe souvent aux portes des entreprises la main sur les couilles et la tête basse en demandant timidement s’ils n’auraient pas un peu de pognon pour nous faire bouffer.
Penchez-vous sur notre berceau en priorité avant de lutter contre les moulins
Il faut plutôt penser le contraire. Laisser libre le budget des grandes équipes qui attirent des grands sponsors. Ils donneront encore plus de visuel à notre art et permettront à d’autres de nous rejoindre. Trouvons plutôt une solution pour aider les écoles à ne pas crever la gueule ouverte comme nous le vivons en ce moment, dans l’indifférence devant cette agonie annoncée. Si ces clubs crèvent, nous n’aurons jamais plus de champion vainqueur de grand tours à l’avenir. Penchez-vous sur notre berceau en priorité avant de lutter contre les moulins et les puissantes équipes comme Sky. Vous savez, ce groupe télévisuel qui couvre la moitié de la planète. Parlez à la base, de celle qui forme les champions.
Bref, hormis les salary cap, je vous rejoins sur certains points. Mais il y a cet oubli important parmi toutes ces propositions, l’essentiel : nos fondamentaux, notre base. Certes, je reconnais que nous autres, Français, il nous est difficile, de par notre culture, de nous remettre en cause. Chez nous, si on ne gagne pas, c’est la faute des autres, à l’image de celle de l’arbitre dans un match de foot. Regardons-nous dans le miroir et remettons nous en cause. Nous avons perdu nos fondamentaux, et notre devoir est d’y revenir. Apprenons de nos faiblesses au lieu de jalouser les autres.
Les écoles que sont la piste et le cyclo-cross font le bonheur des grands champions
D’où viennent les vainqueurs de grand Tours dorénavant ? Geraint Thomas vient de la piste, de la poursuite, de cette école anglaise d’où venait aussi Wiggins. D’où vient Christopher Froome, Jean-Christophe Péraud (2ème du Tour en 2014), Cadel Evans ou encore Peter Sagan ? du VTT. D’où vient Julian Alaphilippe ? Du cyclo-cross, tout comme un certain Mathieu van der Poel ou un jeune prodige anglais nommé Tom Pidcock.
Et qu’en est-il des pistes françaises ? Elles sont délaissées. Qu’en est-il de nos cyclo-cross légendaires ? Ils sont en train de crever dans une indifférence totale. Désormais, place aux ordinateurs, à ces capteurs de puissance dont vous reconnaissez qu’ils tuent nos compétitions. Désormais, nous faisons confiance à des programmes sortis tout droit d’un algorithme, d’une machine qui ne connaît pas ce facteur humain pourtant essentiel, ce petit « truc » primordial pour façonner les plus grands.
Aidez les écoles de pistes, les équipes de cyclo-cross, comme celles de Steve Chainel ou de Francis Mourey, car elles sont formatrices de futurs grands champions. Aidez la base de notre sport, celle qui vous soutient et qui croit en vous depuis votre première élection au sein de notre fédération. Si elle s’enfonce, la pyramide s’écroulera, à jamais.
Le facteur humain
De mon temps, il y avait un grand manager, un grand champion qui nous apprenait son art comme un père vous apprends vos premiers pas. Il se nommait Jean de Gribaldy, il était l’auteur de ce magnifique adage : « Le cyclisme, ce n’est pas un jeu. C’est un sport dur, terrible, impitoyable qui exige de très gros sacrifices. On joue au football, au tennis, au hockey mais on ne joue pas au cyclisme ». Oh non, il n’avait pas tout ces diplômes de chercheurs ou de la NASA, ceux requis dorénavant pour entraîner les champions. Par contre, il avait cette expérience incroyable, ce sens de l’humain. Quand on en chiait sur la machine, prêt à tout envoyer péter une bonne fois pour toute, il se glissait à notre hauteur et nous disait juste quelques mots qui nous redonnait l’envie, celle de gagner, d’aller chercher la victoire à grands coups de souffrance.
Désormais, c’est ce putain d’ordinateur de bord qui te dit quand rouler, quand aller pisser, quand attaquer, quand bouffer et quand parler. Faîtes confiance aux anciens qui ne sont pas forcément bardés de brevets, de certificats, à la pointe de la science et de la technologie. Vous savez ces gars aux cheveux gris, que l’on trouve dans les clubs formateurs en France et qui voient leurs centres se casser la gueule tant l’administration et la fédération les étouffent. Libérez-les, aidez-les.
Pour gagner, il n’y a pas de secret, il faut se sortir les doigts 12 mois sur 12, 365 jours par an, avoir cette putain d’envie de vaincre.
Alors que les étrangers qui remportent nos tours de France s’arrachent la gueule à l’entraînement durant l’hiver (accompagnés aussi par cette technologie) sur la piste, les cyclo-cross ou quelques courses en hémisphère sud, nous autres Français arrivons avec le minimum de kilomètres requis. Pas de piste, ni de cyclo-cross car jugé trop dangereux par les ingénieurs-entraîneurs de 20 ans qui n’ont jamais évolué en tant que coureur pro pour certain. Pour gagner, il n’y a pas de secret, il faut se sortir les doigts 12 mois sur 12, 365 jours par an, avoir cette putain d’envie de vaincre.
Arrêtez aussi de surprotéger nos coureurs tricolores dans les médias. Bien-sûr qu’il faut les supporter, les soutenir mais il faut aussi les pousser. Désormais quand l’un des nôtres termine 40ème d’une étape, on lui écrit une page dans un quotidien national. On l’encense dans la presse pour se voiler la face, pour ne pas voir la triste réalité. Donc pourquoi voulez-vous que le mec se casse le cul ? Allez demander à Geraint Thomas ce qu’il s’est pris dans la gueule par la presse anglaise, celle son pays, quand il n’arrivait pas à monter sur le podium avant de devenir ce champion. Allez aussi demander aux Britanniques ce qu’ils ont subi par notre presse et notre public, quand ils étaient sur le Tour et pourtant, ils ont été la chercher cette victoire. Ils avaient la hargne, l’envie folle de devenir le premier, tout comme Eddy Merckx en 75 face à une presse tricolore en manque de vainqueur. J’ai entraîné quelques jeunes Australiens et Britanniques quand j’étais à l’AC Bisontine. Je continue à le faire, même si je n’ai pas tous les diplômes en aérospatial ou en mathématiques requis, je les conseille toujours. Ils ont tous cette même rage, cette volonté incroyable que l’on avait quand nous étions gosses. Et celle-ci ne s’arrête pas à la publication d’une victoire dans la presse nationale. Non, eux ils veulent devenir des grands, foutre le boxon, faire connaître leurs noms sur les quatre coins du globe…
« L’hiver, je roulais sur les 6 jours avec Laurent Fignon ou Alain Bondue »
Vous parlez de la domination des Sky. Mais souvenez-vous des années Renault ELF ou Système U, celles managées par Cyrille Guimard. J’ai roulé dans l’une de ses équipes, et le « Druide » nous imposait des cyclo-cross et des compétitions de piste durant l’hiver. Je me souviens des 6 jours de Madrid, que j’ai fait au côté d’un grand champion qui remportait des Tours de France : il se nommait Laurent Fignon. Un Géant que je n’oublierai jamais. Rappelez-vous de ce formidable coureur qu’était Alain Bondue, celui qui dansait sur les pavés de Roubaix. Il venait de la piste, il en était un champion Olympique. Oui, à cette époque, nous pratiquions tous ces disciplines durant les mois pluvieux et froid. Et c’est aussi à cette époque que les Français raflaient tout. Les Anglais ont appris cette culture des années 80, l’ont remanié et actualisé à notre époque. Résultat : ils dominent le cyclisme mondial, tandis que nous autres, Français, continuons à marcher sur la tête en écoutant ces programmes qui ont omis le facteur le plus important : l’humain et sa volonté.
Alors, si vous voulez revoir l’un des nôtres au plus haut de l’Olympe, sauvez les écoles de cyclisme, donnez plus de moyens et faîtes confiance à cette base, à ces cyclo-cross, aux équipes comme celles de Mourey ou Chainel et soutenez cette école formidable de la piste. Le cyclisme ne s’apprend pas en World Tour. On l’instruit à la base de ces disciplines. J’ai porté ce maillot tricolore en championnat du monde. J’en suis fier. J’aime mes couleurs et je veux y croire. Croire à ce rêve que dans quelques années, on sera de nouveau au plus haut et que les Anglais, Belges, Néerlandais ou autres en baveront de nouveau derrière nos jeunes, notre horde de teigneux.
Joël Pelier