A 56 ans, le Franc-Comtois Joel Pelier entame son 3 ème Tour de France en tant que pilote pour ASO après l’avoir fait 4 fois en tant que coureur. Vainqueur d’étape après 180 kilomètres en solitaire à Poitiers en 1989, le Franc Comtois va, durant ce tour de France, devenir notre témoin privilégié sur la Grand Boucle.
Joël Pelier, reparti pour un tour?
Ca y est, je suis de retour parmi les miens sur ce tour de France. J’ai quitté mon atelier de sculpteur et ma petite famille pour 3 semaines. C’est mon pèlerinage, mon p’tit voyage dans le passé aussi par la même occasion, un retour aux sources nécessaire. Pour cette édition, je suis pilote dans la voiture radio, du coup on vit chaque étape avec cette intensité incroyable. Il y a aussi tout ses souvenirs qui me reviennent à la gueule, vivaces dans ma boîte crânienne. Le tour, c’est aussi ces regards de gosses émerveillés devant ce peloton, et nous sommes toujours tous des gosses devant l’éternel. On a été ce gamin qui rêvait sur les épaules de son père, on a était ce coureur sur le tour, on reste toujours des cyclistes.
Te souviens tu de ton premier tour?
Tu m’étonnes… On n’oublie jamais sa première fois (rires). J’étais comme un chien fou… J’avais 23 ans, néo-pro, c’était en 1985, le dernier gagné par Bernard et par un Français en même temps. C’était des tour cuisinés par Félix Lévitan. C’est à dire des longues étapes de plus de 220 kilomètres très souvent et des étapes de montagne avec 6 cols… Le truc qui te lessive, te rince, te mets à genou, te sape complètement et te déchires la gueule. Je roulais pour le team de Jean De Gibaldy chez Skil Sem, le Vicomte qui reste à jamais mon père spirituel, toujours en avance sur son temps. J’étais néo pro et il m’a fait confiance. Je voulais lui rendre la pareille.
Dis donc, petit, tu t’en ais pris un bonne soufflante! (Jean-Marie Leblanc)
Ce premier tour donc, j’ai attaqué sans cesse, je voulais gagner une étape, j’avais la rage et je me suis mis pas mal de pression. Dans les Alpes, j’attaque au pied des cols. Je ne savais pas qu’il y avait un pacte de non-agression entre les cadors du tour car je te rappelle que c’était des étapes à la lévitan. Bref, et là qui je vois débarqué? Lucho Herrera et Bernard Hinault qui me rejoignent et Bernard m’engueule devant les caméras, je ne comprenais pas et je me suis énervé.
Jean Marie Leblanc qui était directeur du journal L’Equipe était derrière en voiture. Il me dit « Dis donc, petit, tu t’en ais pris un bonne soufflante! » Et moi je lui réponds avec la fougue de la jeunesse : « Hinault, je l’emmerde! » Et boum, le lendemain la presse ne parlait plus que de ça. Inutile de dire que c’était légèrement tendu entre Bernard et moi les jours qui ont suivit. On s’est expliqué loin des caméras et des micros, et l’année suivante il me prenait pour le championnat du Monde, vous croyez qu’il aurait pris un mec qu’il n’aurait pas pu encaisser ? 30 ans après, on est toujours ami et je l’estime énormément. C’est un vrai qui parle avec ses tripes .
Quel conseil donnerais tu à un jeune qui débute le tour?
Quels conseils? Ils ont des DS compétents pour leurs en filer, je ne suis qu’un vieux coureur avec son expérience. Mais si ils écoutent un peu les conseils d’anciens, je leurs dirais de ne pas se mettre cette pression inutile. Vous êtes là pour découvrir et non pour le gagner alors faites vous plaisir. Le tour dure 3 semaines et il faut savoir gérer ses efforts physiques et surtout son mental. Il faut passer ce cap des 2 semaines pour découvrir ce que l’on a dans les tripes réellement.
Ils sont prêts nos jeunes Français mais ont ils ce soutien mental suffisant? On leurs mets tant de pression sur les épaules dans la presse alors qu’il faut plutôt leurs foutre la paix. Pour un premier tour, tu découvres et tu te fais plaisir. Si ils peuvent saisir leurs chances sur une échappée alors qu’ils le fassent. Le général, on s’en fout quand on débute. On ne retiendra pas ta 20 ème place au général dans le futur mais une victoire d’étape oui, on va s’en souvenir toute notre vie, tous…

L’importance du coaching mental
J’ai remarqué que dans les équipes britanniques, américaines et espagnoles aussi, on retrouve ce coaching mental. Jean de Gribaldy le pratiquait déjà très bien à l’époque. Tu avais envie d’abandonner, tu te faisais chier sur le vélo et le Vicomte venait te voir, te glissait doucement juste quelques mots dans les oreilles et tu avais envie de bouffer du lion par la suite. J’en ai connu peu des comme lui, et j’en ai vu des pseudos DS plus attentifs à parler d’eux mêmes aux médias plutôt que de s’occuper de leurs coureurs, de leurs mentals. Seuls 2 hommes avaient ce talent avec le Vicomte et Javier Minguez chez BH. Si j’ai gagné cette étape, c’est grâce à eux.
Que penses tu des Français sur ce tour?
Ils font du bien à la gueule. Ils veulent se montrer et ça fait du bien de voir ça. 3 sur la première étape et le raid de Sylvain Chavanel hier, le jour de l’anniversaire de Jean René sur leur terre de Vendée. Des échappées publicitaires? Ceux qui le pensent sont des vrais cons…Oui, ils s’échappent et tentent la gagne. Oui, il faut continuer comme ça on ne sait jamais. Je vous rappelle que j’étais parti dès le début d’étape en 89 et j’ai bouffé 180 kilomètres seul avant de la claquer. Si j’avais écouté les conseils de ceux qui me demandaient de rester sage et bien au chaud, je n’aurais pas ce souvenir éternel.
Qui verrais tu sur la plus haute marche finale?
Richie Porte. Je pense qu’il vient vraiment motivé et il sait que cette année peut être la bonne…