Dans mon grenier dorment, depuis fort longtemps, mes souvenirs d’enfance comme dans tant d’autres greniers français. Au fond, sous une poussiéreuse poutre en bois, je retrouve cette bonne vieille malle en acier. A l’intérieur, des tonnes de souvenirs que seules accompagnent les toiles d’araignées.
J’y redécouvre un bon vieux « Miroir du cyclisme » datant de 1985 avec la gueule du teigneux « Blaireau » en couv’. Sur cette « une », un détail me frappe : Hinault est en jaune sur le podium à Paris. 85, cette année là, un Français remportait le Tour de France. C’était il y a 33 ans, c’était il y a un siècle, une éternité…
En attendant le Messie
33 ans comme l’âge du Christ, ce Messie qui se fait toujours attendre depuis deux millénaires. Dans ce trésor de jeunesse, je retrouve aussi un historique « Onze Mondial » avec les Bleus champions du monde, il date de 1998, mon fils n’était pas encore né…
Et oui, putain! 33 ans, 20 ans… Je réalise alors que les jeunes comme le mien n’ont jamais connu cette exquise euphorie de voir leur pays, celui du coq, au plus haut de l’affiche. Bordel ! Ils en auraient tant besoin de ces moments de liesse (surtout nos politiques) en ces temps un peu sombres. La crise, le chômage, notre année d’usine, d’impôts, de mauvaises nouvelles sans cesse rabâchées aux infos, on les oublieraient volontiers l’espace d’une victoire. En ces mois estivaux, nous cherchons tous à croire en l’impossible. Durant nos vacances, nous voulons tant retrouver ces héros de jeunesse qui nous ont fait rêver.
Car oui, nous autres Français (sans omettre notre président qui verrait bien sa côte de popularité remonter) avons besoin d’un porte-drapeau, de bomber le torse par cette fierté nationale. Juste pour un temps retrouver cette avenue des Champs Élysées remplie d’un foule, celle du peuple tricolore, louant le nom d’un des nôtres.
Alors, pour combler notre cruel manque, les médias nous balance en boucle depuis quelques jours le match de foot victorieux, de cette finale 98 ( Mardi dernier, record d’audience pour le match en direct des vieilles gloires de 98: 6 millions de téléspectateurs). En juillet, on écoutera Hinault nous parlant encore de ce magnifique Tour de France 1985, lui le seul roi tricolore encore vivant…
Puis, pour nous trouver une parade face à cette jeunesse qui n’a jamais connu ce délicieux sentiment, celui d’un maillot jaune sur les épaules d’un des nôtres à Paris, ou celle d’un maillot de champion du monde, on lui apprendra à maudire ces étrangers qui viennent jusque sur nos routes voler nos victoires et éventrer nos rêves.
Car oui, ils sont tous dopés, c’est évident sinon comment expliquer notre absence de victoire? La seule excuse que l’on admette par ailleurs. Nous autres Français n’avons pas besoin de nous remettre en cause, nous sommes si parfaits. Ah! Si « ils » n’étaient pas là! Oui mais voilà, le cyclisme est mondial désormais et ces pilleurs de trophées viennent des 4 coins du globe égorger nos illusions de maillot jaune.
Car à l’époque des dieux de l’Olympe cycliste,c’était aussi le temps du bloc de l’est et de l’URSS, Astana n’existait pas. Les Américains se comptaient sur les doigts de la main tout comme les coureurs Britanniques. Oui, depuis tout a changé, le cyclisme est devenu mondial et les prétendants plus nombreux par la même occasion. C’était un autre cyclisme…
33 ans, une éternité tout ça…Dernier vainqueur de Paris Roubaix: Fred Guesdon en 97, dernier champion du Monde: Laurent Brochard en 97, dernier vainqueur du Tour de France: Hinault en 85. Depuis, rien, que dalle, peau de … chagrin sinon que nos souvenirs éternels. Tu m’étonnes que le fiston commence à ronger sérieusement son frein.
Croyons en nos prophètes
Tous, et moi le premier, le désire, le cherche. 3 décennies, c’est vraiment long! … La presse aussi, voudrait retrouver ses tirages illimités des années 80, ses audiences incroyables comme au temps des Rois accompagnées par un vibrant Robert Chapatte au micro. Elle voit aussi d’un mauvais œil ces maudits étrangers, équipés sûrement de moteurs cachés, ou soutenus par des laboratoires secrets dignes du Docteur « M » pour un dopage à grand échelon comme au temps de notre équipe Française Festina.
Justement Festina… On a même pardonné à notre bon Richard Virenque (dopé à l’insu de son plein gré on vous le rappelle, c’était un accident sinon quoi d’autre?) car il nous a fait rêver par la suite avec ce maillot à pois rouges. Il était notre chevalier en attendant le retour du messie. Il était notre Robin des Bois reprenant le flambeau à ces maudits étrangers pour nous restituer cette fierté nationale, à nous autre pauvres Français, qu’importe les affaires du passé…
Désormais, nos guerriers Français portent sur leurs épaules cet héritage! Celui de tout un peuple et d’une presse nationale désireuse de retrouver ses tirages et ses records d’audience. On voit en eux les futurs Bernard Hinault ou Jacques Anquetil à la moindre échappée. Mais j’ai tort de chercher Bernard ou Jacques en fin de compte…
Car en écoutant mon fils qui ne connaît, en fin de compte, aucun de mes propres dieux, ceux d’avant son ère, je réalise alors que ces jeunes champions ne sont et ne seront jamais au final des Hinault, Anquetil ou Fignon qu’ils n’ont jamais vu courir. Je réalise qu’ils seront d’abord, et surtout, eux même. Le cyclisme a changé et ce temps que les moins de 33 ans ne peuvent pas connaître, oui ce temps où j’étais cet ado émerveillé, est définitivement révolu. C’était une autre époque, c’était la mienne, pas celle de mon fils…
Au contraire, ces jeunes croient en leur avenir et encensent leurs propres prophètes, n’en déplaise aux vieux cons dont je fais partie et à certains rois pas vraiment si pressés de laisser leurs trônes à ces impétueux. Cette jeunesse a raison, elle me remet à ma place, celle d’un vieux nostalgique aigri. Alors, oui, laissons les être eux-même, laissons les être Julian Alaphilippe, Warren Barguil, Guillaume Martin, David Gaudu, Pierre Latour, Lilian Calmejane, Bardet etc…Finalement, au lieu de maudire ceux venus d’ailleurs, croyons en eux et en notre jeunesse présente..
Dans le regard de mon fils, je me mets à avoir la foi de nouveau pour cet avenir et, parmi ces jeunes, pour notre Messie. Non, pas à celui d’une religion, ça fait bien longtemps que l’on y croit plus tout comme au Père Noël et encore moins en nos politiques. Non, mais je crois encore à celui du sport et de ses valeurs, celui que l’on veut tant sanctifier jusqu’au plus haut de l’Élysée. Au nom du fils, je veux croire en nos prophètes et en notre résurrection…