Un soir de tempête comme tant d’autres dans le pays du bout du monde, dans ce p’tit coin que l’on nomme « Penn Ar Bed » en Breton, là-bas à « Portsall » face à cet océan Atlantique déchaîné, celui qui parfois, se fracasse contre les vitres de notre bistrot favori que l’on nomme le « O’Donneil », nous sommes tous bien calés au fond du pub à se raconter les histoires de ces grands navigateurs ou coureurs qui ont foutu les plus grands boxons aux quatre coins du globe. Entre deux tournées d’un breuvage local, on se rappelle aussi de ces courses autour du monde, de ces marins et de ces cyclistes légendaires, unis sous la colère de ces mêmes vents venus de l’olympe. On peut parler d’Eric Tabarly, d’Alain Colas sur la Route du Rhum, François Gabart sur le Vendée tout comme de Bernard Hinault sur un certain Liège-Bastogne-Liège en 1980 ou un Olivier Le Gac sur une étape du Giro. Bref, dans le pays des légendes, on cause de ces héros, et de ces histoires qui nous passionnent le plus, la course au large et les plus belles classiques.
Vers moins le quart avant la tombée de la nuit, voilà qu’un bateau s’amarre dans la nuit, dans ce port perdu au fin fond du monde mais connu de tous les cyclistes et navigateurs. Et oui, Porspo et Porstall sont ces lieux légendaires qui n’accordent aucun pardon à ceux qui s’y aventurent sans connaître ce qui les attendent. C’est d’ailleurs leurs fiertés. Là, non loin du rail d’Ouessant, gare à ceux qui s’y hasarde comme sur cette route défoncée entre ces deux villages qui lui font face, celle empruntée par le mythique Tro Bro Léon, gast !!!
Ça tombe bien, car le navigateur en question se nomme Pierre Leboucher. Pour ceux qui l’ignorent encore, il est ce vice-champion du monde de 470 (dériveur), en 2012 et 2013 et sélectionné aux JO de Londres en 2012. Dernièrement, ce pilier de l’équipe de France de voile à pris un autre cap, celui de foutre le camp vers la course au large en solitaire, histoire de taper quelques belles et des plus tragiques épreuves que la mer puisse nous offrir. Une première participation sur la solitaire du Figaro cette année, il se permit de prendre une belle 15ème place au généralN. En 2016, il termina même 5ème sur le Tour de France à la voile (organisée par ASO comme le Tour de France cycliste). Pour 2018, le « bizuth » de la course au large a de belles ambitions : se faire la Transat AG2R, fin avril, entre Concarneau et Saint Barth. Puis après avoir tapé son boxon sur quelques solitaires, il se voit bien partir à la conquête de ce Grall que l’on nomme le « Vendée Globe Challenge » (organisée également par ASO). Il a même déjà trouvé son sponsor qui n’est autre que le clan Guyot. Déjà partenaire du Stade Brestois, l’entreprise Guyot Environnement a misé sur ce jeune marin qui rêve de décrocher la lune.
Mais le navigateur a aussi une autre passion : le cyclisme. On vous l’a déjà dit, les Bretons ont deux passions, l’océan et les ribinous, ils sont inscrits dans leurs ADN. Entre deux verres de… voilà que le navigateur nous cause de cyclisme, de l’aventure Vital Concept de Jérôme Pineau qu’il a croisé sur les plateaux de l’Equipe 21 et de Bryan Coquard qu’il a aussi connu aux JO, de Fortuneo-Samsic avec Pichon, Barguil, Daniel ou de ce « bloody » Romain Le Roux qui a marqué les esprits de ces grands navigateurs, puis aussi de son bike Specialized Pro Race Force…
Pour ce navigateur, le cyclisme et la course au large sont des aventures similaires. Lui qui connaît les océans de cette drôle de planète, qui a navigué par les passages de plus périlleux, sait de quoi il parle. Il nous monte aussi les cols des grands tours comme il franchit les caps les plus dangereux et se fait le tracé de quelques belles classiques durant son entraînement comme il se fait une transat en père tranquille. On hèle le tenancier du zinc qui se nomme « L’Océan » et nous voilà parti sur une grande discussion au sujet des ces héros de la mer et du bitume que tout parait, pourtant, séparés…
Pierre, après les JO, les championnats du monde, la course au large ?
Pierre Reboucher: « Oui, ça y est je me lance dans le grand bain après dix ans passés en dériveur. C’est un peu comme les Grands Tours pour vous autres cyclistes, non ? (rires). J’avais fait le tour de la question et je voulais vraiment changer de cap. Je me suis testé sur le tour de France à la voile qui est d’ailleurs organisé par ASO si je ne m’abuse, le même organisateur du Tour de France cycliste. Avec mon bateau qui est un Figaro 2, j’y ai fait de bons résultats et je me sens prêt pour aller chercher les mêmes sur la course au large. Je vais participer à la Transat AG2R au mois d’avril et je compte bien montre la couleur de mes voiles en tête. AG2R c’est aussi une équipe pro en cyclisme non ? Tu vois, le cyclisme et la voile ont les mêmes partenaires en plus, ce n’est pas un hasard (rires)… »
« Par exemple sur les étapes où la mer est calme, c’est un peu comme les étapes de plaine en cyclisme »
Justement, tu es aussi un adepte du cyclisme. Tu aimes comparer la voile et le cyclisme. Quels sont les points communs entre ces deux sports ?
Pierre Leboucher: » Il y a en tant. Déjà, tout le monde pense que c’est un sport solitaire mais il y a toute une équipe derrière comme dans le cyclisme. On est seul sur le bateau mais comme le coureur sur son vélo. Mais que ferait-on sans personne pour nous aider durant l’épreuve ? Rien du tout. De plus, on a aussi notre Tour de France avec nos étapes de sprints et de montagnes si je peux dire. »
Les mêmes étapes ?
Pierre Leboucher: « Oui. Par exemple sur les étapes où la mer est calme, c’est un peu comme les étapes de plaine en cyclisme, on attend que ça se passe en cogitant pas mal avant le sprint. Les étapes de sprints, c’est aussi intense physiquement, là c’est de la stratégie pure comme savoir se placer avant de le lancer, et jouer avec le vent. Les étapes côtières, je compare ça à la montée d’un col. Il faut savoir jongler avec le profil de la côte, négocier les virages puis foncer vent dans le dos avant de remettre le couvert près d’une autre côte. Une étape de ce style dure 4 à 5h en moyenne et tu en ressors complètement rincé, à genoux. Pour les classiques, je les compare quand tu affrontes à un gros coup de vent, durant une tempête. Là il te faut du punch et serrer les dents quand tu affrontes ces éléments. «
Beaucoup de marins pratiquent le vélo pour leurs entraînements comme Loic Peron
Le cyclisme te sert dans ta préparation à la course au large ?
Oui. Je pratique beaucoup de ski durant la trêve et du vélo. J’adore aller rouler en montagne et franchir les cols empruntés par le Giro, la Vuelta ou le Tour de France. J’ai besoin de ça pour travailler sur le foncier et sur l’intensité. J’ai un Specialized Venge Pro Race, une belle bête et je me fais plaisir avec. Beaucoup de marins pratiquent le vélo pour leurs entraînements comme Loic Peron. Avec son équipage du Groupama, ils allaient faire des stages en altitude avec leurs bikes. Et rappelle toi aussi, pour le winch ils avaient un vélo à bord. »
Dans le cyclisme, quels sont ceux qui t’ont marqué le plus ?
Comme tout le monde, Bernard Hinault et Laurent Fignon. Il faut être sacrément burné pour aller chercher un grand Tour. C’est l’équivalent d’un Vendée Globe Challenge dans la voile. Mais il y en a d’autres aussi. Quand tu vois un Warren Barguil qui ose attaquer dans les grands cols, tu te dis que le mec n’a peur de rien, il tente et tant pis si ça casse, au moins il aura osé. J’aime bien Laurent Pichon aussi. Il trouve encore cette force pour aller chercher la gagne en sortant dans les finals, le couteau entre les dents. Ils ont des bons mecs chez Fortuneo-Samsic. Mais j’adore l’aventure de Jérôme Pineau et celle de Vincent Lavenu. »
Pourquoi ces deux managers ?
Tu peux les comparer à des navigateurs. En voile, on va taper nous même à la porte des sponsors pour décrocher un budget. Et je te promets que c’est loin d’être évident. Jérôme Pineau a osé et il a gagné. C’est un sacré travail qui prend énormément de temps. En plus, il y a Bryan Coquard au sein de son team. Je l’ai rencontré sur la présentation de l’équipe de France Olympique à Londres. J’avais parlé avec lui, un mec super sympa et depuis, je regarde toujours ses résultats. J’ai beaucoup de respect pour ce genre de champion. Regarde aussi l’histoire de Vincent Lavenu. Le mec a couru pour rien en pro et il en a gagné des courses. Quand il a monté son équipe, il a été les chercher comme un navigateur ses sponsors avec le mors au dents, comme Chazal avant de devenir AG2R. Son équipe, c’est son bateau…
L’aventure du jeune Romain Le Roux t’a aussi interpellé…
Clairement. Ce n’est pas habituel de voir un coureur pro aller faire un appel au don pour pouvoir se batailler sur les plus grandes classiques. Habituellement, ce sont les managers qui font ce job. Lui, il s’est lancé tout seul avec juste son frangin à ses côtés. Et il a réussi qui plus est alors que tout le monde le voyait perdant. Oui, j’ai du respect pour ce genre de démarche, tu vois la volonté du bonhomme quand même. En plus, j’avais lu sur votre site qu’il était charpentier-marin, un amoureux de la mer et de nos côtes, une raison de plus non? Nous autres navigateurs, nous faisons la même démarche, on va au culot chercher le budget et convaincre que l’on est prêts à décrocher la lune, car on l’est. Nous sommes managers et compétiteurs… »
Et tes sponsors justement ?
J’ai enfin bouclé mon budget pour 2018 avec Guyot Environnement. Ça sera aussi le nom de mon bateau que je vais baptisé en ce début d’année. Le budget est similaire à une équipe continentale. Grâce à l’entreprise brestoise, je peux aborder mes objectifs en toute sérénité. Maintenant, j’ai envie de leurs rendre la pareille au plus vite et notamment sur la Transat AG2R.
Quand tu vois un gros partenaire comme Groupama quitter la voile pour le cyclisme, n’as tu pas peur pour votre sport?
Non, pas du tout. Je suis même ravi que Groupama reste dans le sport en général. Ils seront toujours là. Ok, ils sont partis avec FDJ mais ils restent dans notre monde. Donc que ce soit la voile ou le cyclisme, je m’en fous à vrai dire car ils restent et ils reviendront vers la voile un jour. Regarde AG2R, ils sont dans la voile et le cyclisme. Le plus important, c’est ça. Que ces grandes compagnies soutiennent le sport sous toutes ces formes. «