Nous sommes en 2047. Je suis là, en vieux peinard, sur mon canapé en train de mater un bon vieux lien streaming d’un sport qui, jadis, faisait rassembler ces foules délirantes sur le bord des routes, faisait frémir des nations entières, le tout en étant diffusé par les plus grands médias de la planète. Mon petit fils âgé de 11 ans vient se blottir contre moi et regarde, les yeux grands ouverts, ce drôle de sport qu’il n’a encore jamais vu.
– « Dis grand-père, c’est quoi ces gens habillés de façon étrange sur des vélos bizarres? »
Je le regarde.Je ne suis pas surpris, le vélo n’est qu’un moyen de locomotion comme un autre pour le petit. J’ai envie de chialer comme un gosse, comme celui que j’étais aussi il y a bien longtemps. Je ravale mes larmes et je lui raconte le cœur lourd, l’histoire de ces courses et de ces légendes que l’on appelait : « Les cyclistes ».
– « C’était vraiment un sport pro le vélo? sérieusement ? »
Je lui parle, alors, de ces guerriers qui montaient des cols incroyables, sur ces pentes à foutre le vertige aux dieux de l’Olympe eux-mêmes. Je lui raconte des batailles légendaires sur ces pavés boueux que ces fous de chevaliers avaient réussi à dompter, de ces hommes qui allaient jusqu’au bout d’eux-mêmes, les dents serrées, les yeux fixés vers l’horizon. Ils avaient pour noms Hinault, Anquetil, Merckx, Poulidor, Sagan, Van Avermaet ou encore Barguil. Je lui parle de cette année 2037 où ASO annonça la fin de cette épopée que l’on nommait le Tour de France, après plus d’un siècle d’histoire, quatre ans après la fin du Giro et de la Vuelta.
Je lui raconte que de nombreux jeunes de son âge le pratiquaient en se tirant la bourre dans les rues des villes, les routes des villages et chemins des quartiers. Tous rêvaient de devenir ces chevaliers conquérants, ces « pros ». Ils étaient nos héros !
– « Mais alors pourquoi il n’y a plus ce truc, des courses comme tu dis, grand-père? »
Là, mes larmes coulent le long de mes joues. Mon passé me revient comme un boomerang, notre passé, celui de ces jours heureux. Je ne sais pas quoi lui répondre mais au fond de mes tripes, la réponse est là, des plus limpides et des plus tristement logiques.
– « C’est à cause de la cupidité des hommes, mon bonhomme », lui dis-je.
La gorge serrée, je lui parle de ces tricheurs qui voulaient la gloire à tout prix, de ces hommes prêts à tout pour atteindre ce rêve ultime, saignant à jamais un art de vivre et en même temps flinguant les espoirs d’une jeunesse qui voulait rêver. Car ces hommes n’en avaient que faire de l’avenir, ils avaient jeté le doute à jamais dans l’inconscient collectif au détriment de leurs frères de route, ces vrais champions flingués par des pseudos guerriers avides de gloire…
Je lui parle des médias à la recherche du « buzz » pour faire vendre leurs « PQ ». Eux aussi voulaient la gloire à tout prix, afin que leurs noms soient sanctifiés sur l’autel des tabloïds, de ceux qui voulaient aussi partager la rançon du succès, de ceux animés par cette putain de cupidité, avides surtout de reconnaissance…
Je lui raconte ensuite la guerre des instances pour la prise du trône de l’UCI ou d’autres, ils voulaient tous être Roi à la place du Roi. De cette guerre digne de « Games of Thrones », faîtes de trahison, de coups bas, de phrases chocs dans ces quelques merdiques médias qui ne demandaient pas tant. De ceux qui voulaient diriger absolument, ivres et avides de pouvoir absolu…
Je lui explique enfin qu’avec toutes ces saloperies, ces histoires à répétition créés par ces hommes avides et cupides, les sponsors se sont tirés définitivement. Les batailles, alors, se sont faites rares. Puis les télévisions et surtout le public ont cessé de venir sur le bord des routes, lassés à jamais de toute cette merde laissée par ceux qui voulaient être au dessus des autres, coûte que coûte, nous écrasant la gueule et aussi sur celles des générations à venir.
– « J’aurais aimé essayé ce truc grand-père quand même, je ne savais pas qu’il avait existé en course pour de vrai. J’avais déjà vu ce jeu sur un meeting E-sport un jour. »
Un sourire se dessine sur ma gueule burinée. Je sèche cette petite larme. Oui, ce sport a existé, il y a bien longtemps et on l’a flingué à emportant avec lui le rêve de ses enfants, le tien aussi mon bonhomme. Le vent l’emportera…