[dropcap]L[/dropcap]a valeur n’attend pas le nombre d’années. Dès son plus jeune âge Sarah Meyssonnier, 19 ans et étudiante en journalisme à l’ESJ de Lille, a découvert la joie de suspendre le temps et d’immortaliser l’action. Dans ses photos, l’Avignonnaise parvient non seulement à mettre en lumière le coureur, mais aussi l’homme qui se cache sous un casque et une paire de lunettes à verres polarisants. En captant son regard, les stigmates portés par l’effort et l’euphorie comme les larmes, Sarah reste fidèle au réel et à l’authenticité du sujet tout en le sublimant. Forte de son expérience sur le Tour 2015 auprès de ses mentors de « BreakThrough Media », pour qui elle endossait le rôle de stagiaire-assistante photo, puis sur le Tour 2017 où elle était Digital Reporter pour A.S.O, la jeune photographe freelance fait ses gammes dans un univers où la jeunesse n’est pas souvent prise au sérieux. Mais « le travail fourni et son résultat sont les seuls moyens de montrer son professionnalisme » certifie-t-elle. Détermination, contraintes, instinct et frénésie : Sarah revient avec nous sur son travail, de ses tous premiers pas à la dernière Grande Boucle.
D’où vient cette sensibilité pour la photographie ?
Depuis mon enfance, j’ai toujours eu un appareil dans les mains : que ce soit un appareil jetable lors des classes vertes ou un petit compact lors des voyages avec ma famille, puis sur les courses cyclistes. Je ne sais pas vraiment d’où ça me vient. Personne dans ma famille n’est photographe et pourtant, j’ai grandi avec cet appareil pour capturer tous les moments possibles. Ça a toujours été une évidence.
Ton tout premier appareil photo, ça remonte à quand ?
Mon premier appareil photo digne de ce nom remonte à l’année 2012. C’est la première fois que je m’achetais un appareil photo par mes propres moyens. C’était un bridge, un Fujifilm qui faisaient de très belles photos. Ce dernier m’a donné envie d’investir, l’année suivante, dans un premier reflex, un Nikon d3100.
« Lorsque, sur la moto, j’ai aperçu la Tour Eiffel devant le peloton, je me suis dit : « Peut-être que tu vivras ça qu’une fois dans ta vie, alors profite. »
Ça fait plusieurs années que tu shootes sur des courses, comment tout cela est-il arrivé et pourquoi le cyclisme ?
Mon grand-père est un fou de vélo. Il a monté tous les cols mythiques de la Grande Boucle et il ne passe jamais un été sans la regarder. Durant les vacances d’été de mon enfance, le Tour était presque un fond sonore habituel qui rythmait les journées entre la plage et les balades. En 2009, une étape est passée dans notre ville de vacances (La Grande Motte, dans l’Hérault) et nous y sommes allés. C’était la première fois que je me rendais sur une course et, malgré la chaleur étouffante de juillet, je suis tombée amoureuse de cette ambiance, de cet univers et de ces passionnés. Depuis, le Tour n’est plus seulement un fond sonore banal, il est au cœur de mon été et le vélo est venu progressivement prendre une place très importante dans ma vie.
Quelles ont été les étapes importantes dans ton apprentissage de la photographie ?
La première étape de cet apprentissage s’est déroulée avant même que je ne fasse réellement de la photo. J’ai très vite adoré observer les photos des différents photographes du Tour. J’ai commencé à repérer leur style, à suivre leurs travaux que j’admirais. Puis, petit à petit, j’ai voulu faire de même, capturer des instants sur le Tour. Je faisais alors de la photo pour mon loisir et je ne me qualifiais pas comme photographe.
Ma technique s’est améliorée et j’ai commencé à prendre des cours de photos (2015) pour maîtriser au mieux mon matériel. C’est également cette anné là où j’ai demandé un stage à BrakeThrough Media, une agence de photo américaine, sur le Tour. Nikon m’a alors prêté du matériel et m’a permis de toucher de plus près ce métier de photographe.
À côté de tout ça, tu étudies à l’école de journalisme de Lille. Journalisme, photographie… Tu souhaites concilier ces deux univers pour le futur ?
Je suis très partagée sur ce point. Le photo-journalisme m’intéresse réellement et je me régale derrière une caméra. Seulement, les places sont peu nombreuses et je ne sais pas si mon travail est à la hauteur de celui d’un pro. J’ai peur de prendre des risques en me lançant dans cette activité pro qui me passionnerait mais peu réussissent à en vivre correctement. D’un autre côté, avec mon blog sur L’Express, j’écris sur le cyclisme et le journalisme sportif me plaît également. C’est pour cela que je me laisse encore une ou deux années pour faire mon choix entre ces deux beaux métiers du journalisme en fonction des opportunités qui me sont proposées. Je me suis d’ailleurs lancé comme auto-entrepreneur dans la photographie pour pouvoir me professionnaliser et me confronter à ce monde que j’aimerais intégrer.
Quel est le meilleur souvenir que tu gardes en mémoire de ces deux Tours de France que tu as vécus de l’intérieur ?
Il y en a deux. Le premier c’était lors du grand départ en 2015 à Utrecht. J’ai été de suite propulsée dans l’ambiance hors-norme de la Grande Boucle. À peine arrivée, je retrouve mon maître de stage, Jim Fryer, et nous avons fait le tour des bus pour discuter avec Peta Todd, la femme de Mark Cavendish, prendre en photo Vincenzo Nibali dans le bus d’Astana, etc… Tous ces gens que je suivais, ces cyclistes que j’admirais, ces photographes qui m’éblouissaient par leurs clichés étaient tous là, juste à côté de moi. L’atmosphère qui régnait était incroyable, les gens étaient chaleureux et enthousiastes de recevoir le Tour chez eux. Il y avait plus d’un million de personnes venues voir le Prologue. Il n’y avait pas de mots pour décrire cette journée tout droit sortie d’un rêve.
Puis le second, c’étant pendant la dernière journée du Tour 2017. J’apprends quelques minutes avant le départ qu’il reste un place en moto presse et que celle-ci est pour moi. Il s’en est suivie une courte étape (comme toutes les dernières étapes du Tour) où j’étais shooté à l’adrénaline des remontées de peloton, des douches de bières entre coureurs, etc… Le meilleur moment a été l’arrivée à Paris, lorsque, sur la moto, j’ai aperçu la Tour Eiffel devant le peloton et que je me suis dit : « Peut-être que tu vivras ça qu’une fois dans ta vie, alors profite ». On s’est éloigné de la Dame de fer pour aller vers le Grand Palais. Une fois les coureurs ressortis, j’ai senti la vitesse augmenter et la nervosité prendre le dessus sur le calme du peloton. Les dix tours allaient commencer. Je n’ai fait qu’un tour sur les Champs mais il reste gravé dans ma mémoire. On arrive sur la Concorde, tout le monde se met en place pour le plus beau ballet de juillet. L’entrée sur les Champs est marquée par une accélération du peloton, tous les photographes se mettent debout sur la moto pour avoir le cliché de l’Arc de Triomphe et du peloton. C’est un sentiment incroyable de se lever à près de 60km/h en entendant au dessus de nos têtes la patrouille de France. Tout passe si vite mais l’émotion est très forte. J’ai fait quelques photos qui me semblaient bonnes puis je me suis rassise et j’ai profité du spectacle qui me semblait hors du temps : une avenue prestigieuse privatisée, des milliers de personnes encourageant les coureurs devant moi. Aujourd’hui c’est un souvenir qui me donne encore des frissons.
« Je n’ai pas encore complètement trouvé mon style mais je me sens progresser de courses en courses. »
Comment s’imposer dans ce milieu quand on a seulement 19 ans ?
Personnellement, je n’aime pas me mettre en avant. Je pense que le travail fourni et son résultat sont les seuls moyens de montrer son professionnalisme. Il y a toujours des « confrères » qui cherchent à prendre votre place sans aucune raison valable, ce qui m’est arrivé lors de mon stage sur le Tour 2015. Cependant, je suis quelqu’un d’optimiste et je pense qu’un bon travail en impose plus qu’un beau parleur… Je m’efforce donc à être la meilleure possible dans mon job.
Tu photographies aussi beaucoup les « invisibles » des courses cyclistes : les personnes du public, les mécanos, le staff, l’ambiance qui règne autour…
Oui, ces petites mains du Tour me tiennent à coeur, car le Tour ne se résume pas à 200 cyclistes qui parcourent 3000km pendant 3 semaines. Il y a le staff derrière cet effort, de nombreux fans sur le bord des routes et ce sont d’abord eux qui m’ont fait aimé le Tour. Cette allégresse qui entoure l’événement sportif est, à mes yeux, très importante à retranscrire.
La prise de vue dans le cyclisme est souvent difficile à anticiper. Comment as-tu travaillé ton regard photographique pour retranscrire au mieux les émotions ?
La photographie sportive est un art en soit car, il faut être réactif aux différentes actions qui peuvent se dérouler sur un même lieu. Les photos « classiques » d’arrivées ou de départs ne m’intéresse pas forcément, j’aime donner un aspect artistique. Je cherche avant tout à raconter une histoire, montrer une émotion. Je veux que mes photos vivent. C’est parfois difficile car les lieux changent, il arrive que l’on ne soit pas en forme, pas motivé. Cependant, j’essaye au maximum d’apporter quelque chose de différent à ces épreuves. Je n’ai pas encore complètement trouvé mon style mais je me sens progresser de courses en courses.
Sur le plan plus technique, j’adore faire des photos en focale fixe, surtout avec un 50mm f/1.8. Ce type d’objectif oblige le photographe à penser son cliché avant de le prendre tandis que d’autres appuient sur le boutons en zoomant et dézoomant puis regardent à la fin ce que cela donne. L’objectif fixe permet d’analyser le bon moment pour déclencher. Cela demande de l’entrainement car, au début, on rate toujours l’action à vouloir attendre trop mais à la fin on commence à prendre le coup.
Sarah nous a livré ses dix photos de cœur :
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