Photo en tête par « 6 day cycling »
Durant l’hiver, certains champions vont se réchauffer autour d’une piste qui sent bon le bois précieux. Hélas, il n’y a plus que quelques chaudrons répartis, ça et là à travers le monde. Ces rendez-vous qui nous réchauffent la gueule, le corps et l’esprit se nomment les « 6 jours ». On en trouve de nouveau à Londres, à Gand, Rotterdam, Brême, Berlin, Majorque, Rome ou encore Copenhague. Les plus grandes nations cyclistes ont désormais leurs 6 jours. Toutes les nations ? Non, en France c’est le désert, le vide, le néant. Alors que nous sommes l’une des plus titrées sur cette piste de bois.

Oh ! Il y en a bien eu une époque où ils étaient ces lieux où l’on devait être. Des stars du cinéma comme Jean Gabin, de la chanson comme Piaf, des écrivains tel Ernest Hemingway, tout ce que le « gratin » comptait à l’époque. Ils se nommaient les 6 jours de Paris (mort en 1989), les 6 jours de Bordeaux (mort en 1997) et le dernier tel les 6 jours de Grenoble devenu les 4 jours avant de rendre son dernier souffle en 2013. On vous parle donc de ce temps que les moins de 20 ans ne peuvent connaître, de cette ambiance de kermesse, de flon-flon et de bal populaire, avec ces coureurs amaigris tournoyant derrière le derny, de ces joutes de madison, ce combat qui se joue au son de la cloche. Au centre de l’arène, la musique battait alors son plein sur une piste de danse bondée tandis que certains narraient les exploits de ces champions autour d’une table alors qu’autour d’eux sur la piste, ces derniers se livraient, sous leurs yeux, à de véritables exploits.
Car oui, il faut être ce cinglé pour aller se défoncer durant 6 jours autour de cette piste en bois. Mais nul ne peut comprendre l’ambiance d’un 6 jours tant qu’il ne l’a pas vécu. Il faut y être pour comprendre cet âme de damné. L’un des pionniers, au début du XXème siècle, l’américain Floyd McFarlan (journaliste et coureur) qui avait aussi crée ceux de Paris auprès de celui que l’on surnommait alors « The great Bob » Robert Desmarets, écrivait alors :
« Six jours ? Qu’est-ce que cela signifie ? Est-ce du sport, est-ce un jeu, est-ce un miracle ou est-ce une illusion, une nécessité, un mal ou un mal nécessaire ? Peut-être un peu tout ça dans sa forme de base, au moins un reflet de la lutte que nous effectuons dans notre vie quotidienne inconsciemment et consciemment. Tout ce que nous vivons durant notre existence, le bien ou le mal, les espoirs et les déceptions, l’accomplissement de soi et le rachat, a lieu dans le cadre d’une course à partir de laquelle, par l’intermédiaire d’une semaine de travail prolongée, on exige que le vainqueur soit celui qui veut rester dans ce combat contre les autres, contre la fatigue, contre l’échec et le découragement. «
Voilà les 6 jours, les oubliés du berceau du cyclisme tricolore, font des cartons d’audience à l’étranger, jouant avec le diable à guichets fermés tel celui de Londres. Le « 6 Day Cycling » de sa majesté perpétue la tradition, conjuguant toujours aussi bien cet art de vivre et cette fête populaire qu’il engendre. Alors que chez nous, notre beau vélodrome de Saint Quentin dort toujours du sommeil de l’ennui.
Deux « Frenchies » sont partis rendre hommage aux créateurs des 6 jours. Et oui, les premiers « 6 jours » ont eu lieu au Royaume de la Reine à Birmingham en 1875. C’était il y a 143 ans. Benjamin Thomas et Morgan Kneisky, les champions du Monde de Madison et boys de l’Armée de Terre, sont actuellement en train de se tirer la bourre contre Mark Cavendish, Peter Kennaugh, l’espagnol champion du Monde Sebastian Mora Vedri et les Belges Moreno De Pauw et Kenny De Ketele. Nous avons posé quelques questions à Morgan Kneisky, le quadruple champion du monde sur piste :
Morgan Kneisky, comment vous sentez-vous sur ces 6 jours après une longue interruption pour blessure ?
Morgan Kneisky : « Ça va. Je me remets doucement de ma fracture du premier métacarpe de la main droite mais les sensations reviennent assez vite. Pour la première soirée des 6 jours de Londres, il est vrai que j’avais un peu d’appréhension car on ne retrouve pas tout de suite ses automatismes sur ce genre de rendez-vous. Mais en fin de compte, ça s’est bien passé et j’ai enfin retrouvé mon compagnon de « crime » avec Benjamin Thomas. On est vraiment bien ici surtout que je ne peux vraiment jouer la gagne sur une reprise après un arrêt aussi long. Je suis surtout là pour me retrouver enfin. »
Racontez-nous cette ambiance et cette ferveur des « 6 jours de Londres » ?Morgan Kneisky :
« Une folie. L’ambiance est survoltée, le public est incroyable et nombreux. Tu mélanges l’adrénaline de la piste et la musique à fond les décibels, tout ça sur un public en délire et je te laisse imaginer ce que sont les 6 jours. De plus, les chaînes de télévision anglophones le diffusent en direct. C’est simplement hors-normes. On se retrouve entre coureurs, on se connaît tous depuis longtemps. Je me rappelle de Peter Kennaugh en 2009 et 9 ans plus tard, il est toujours là avec de bonnes jambes! On se parle mais on reste dans nos box respectifs, un peu isolés pour se concentrer au maximum avant une épreuve. La musique et la foule ne nous dérange pas, bien au contraire! »
« Les 6 jours, on y va entre potes surtout et pour vivre cette ambiance. »
À combien de « 6 jours » vas-tu participer cette saison ?Morgan Kneisky :
« Après Londres, je vais aller à Gand, puis Brême et enfin Rotterdam. Actuellement je suis sur Londres pour me régler comme je te l’ai dit mais je compte vraiment aller chercher de belles perfs sur les autres. »
Toujours avec Benjamin Thomas, la paire inséparable?
Morgan Kneisky : « Oui, nous sommes très amis et coéquipiers au sein de l’Armée de Terre. Mais je ne sais pas si on va faire tout les « 6 jours » en Europe. Tout dépend de nos calendriers respectifs. On décide ça au fur et mesure selon nos disponibilités. Si l’un ou l’autre n’est pas disponible, on le fait avec d’autres. Les 6 jours, on y va entre potes surtout et pour vivre cette ambiance. »
Pourquoi n’y a-t-il pas ce format en France selon vous ?Morgan Kneisky :
« Oui, c’est vrai qu’il n’y a plus rien depuis les 4 jours de Grenoble. Pourtant il y a une forte demande du public, c’est incontestable. Il suffit de voir ce qu’il se passe en Angleterre, en Belgique ou en Allemagne. Les télévisions les diffusent en direct et les Français sont obligés de s’expatrier pour aller en disputer. On pourrait les faire revivre c’est certain. On a le vélodrome et un public qui ne demande que ça. »
« Pour moi seul ASO peut faire revivre un « 6 jours » en France. Et il suffit de regarder ce qui se passe à l’étranger pour comprendre l’ampleur que ça peut avoir »
Et les revoir un jour, vous pensez que c’est possible ?Morgan Kneisky
: « Oui, mais il faudrait juste faire comme dans les années 80-90 où des stars de la route tels Laurent Fignon ou Charly Mottet venaient se mettre en duo avec des pistards. On pourrait faire ce show aussi avec les champions de toutes sortes. Pas automatiquement qu’avec des spécialistes comme Benjamin ou moi. On pourrait s’associer avec des sprinters sur route comme ils le font ici avec Cavendish et Kennaugh. Je pense que seul ASO pourrait faire revivre un « 6 jours » en France. Il faut qu’ils regardent ce qu’il se passe à l’étranger pour comprendre qu’un « 6 jours » peut attirer une foule considérable et des partenaires privés qui ne demandent que ça. Une « piste »aussi pour la piste tricolore en vue de JO de 2024 par exemple. »