[dropcap]I[/dropcap]l y a 34 ans, un dessinateur a eut cette vision légèrement dingue de créer une course avec des « ribinous ». Il fallait bien trouver un peu de « fraîche » pour les écoles « Diwan ». Jean-Paul Mellouet décida alors de créer son chef d’œuvre. Nous étions en 1984, ces années un peu folles où l’on osait encore. Car en plus d’être un artiste, Jean-Paul Mellouet vénère le cyclisme et son côté rebelle. Il n’est pas franchement le genre de gars qui rentre dans les clous en suivant le troupeau mais plutôt celui qui tente des choses, histoire que l’on ne tombe pas dans l’ennui de ces courses où l’on s’emmerde « sec ». Son idée fut alors de créer une épreuve que personne n’aurait imaginé, ni même osé y penser. Sur cette terre de légendes, balayés par les vents du Pays Pagan, sans cols ni pavés, il avait décidé d’utiliser ces chemins de terre pour y faire sa plus belle esquisse. Avec ces fameux ribinous que les Léonards connaissent avant même avant de réaliser leurs premiers pas. Ces fameux ribinous que les fermiers prenaient pour aller se rendre aux champs. Ceux là mêmes utilisés par les contrebandiers et les rebelles du Léon, histoire qu’on leurs foute un peu la paix. Ces fameux ribinous que l’on empruntait (parfois) pour échapper à la maréchaussée locale par les soirs de plein lune, tentant piteusement de ne pas souffler dans le biniou, enfin du moins pas dans celui là !
Ils sont l’âme de ce pays du Léon. Indomptables, ils surgissent de nul part, ils sont ces pamphlets contre l’ennui et les normes. Nous empêchant d’être, un beau matin, affranchis de la banalité d’une vie un peu trop réglementée. Jean-Paul Mellouet, le « druide » en a fait son chef d’oeuvre, de souffrances et d’envies, rêvant de longs soirs brumeux durants jusqu’au matin laiteux. Il a en fait, dans son épreuve, sa révolte et son paradis.
Il y a 34 ans, les gens de de la capitale du pays d’à côté le traitait alors de fou, de simple illuminé. Rares étaient ceux qui croyaient alors en son dessein, c’était il y a bien longtemps. Depuis, les chemins de terre ont fleuri partout. On en voit même sur le Tour du Loir et Cher, le Tour du Pays de Savoie, Paris-Nice, sur les courses amateurs comme la SportBreizh et dernièrement sur la coupe de France PMU tel le Paris-Camembert. Ils en veulent tous de ces passages nés dans la tête de ce « fou » de Mellouët.
Mais ils auront beau les utiliser en conjuguant cet effet mode du moment, les ribinous du Léon ne seront jamais égalés. Ils restent l’âme d’un peuple, d’une culture et ce n’est pas un hasard si des champions ont rêvé de les accrocher sur leurs palmarès. Le dernier vainqueur breton se nommait Frédéric Guesdon en 2008 et, par ailleurs, le dernier vainqueur francophone du Paris-Roubaix en 1997… La légende du Pays Pagan raconte dès lors que le Druide du Tro Bro se rasera sa tignasse rebelle si l’un des siens l’emporte. Pour l’instant, elle pousse centimètre par centimètre, et ce depuis plus de 10 ans.
Jean-Paul Mellouët, lorsque vous avez créé le Tro Bro Léon, on vous traitait de fou. 34 ans plus tard on vous imite. Qu’en pensez-vous ?
Jean-Paul Mellouët : « (Il soupire) C’est vrai que l’on me prenait pour un fou à l’époque. J’ai eu le droit à tous les noms mais je m’en foutais totalement. Dans notre pays, on n’a pas de cols ni de pavés. Je ne voulais pas d’une course un peu chiante qui ressemble à toutes les autres. L’idée m’est venue alors d’utiliser ces ribinous. Ils étaient là bien avant nous et et ils le seront encore. Au début, certains sont venus courir un peu dubitatifs mais à l’arrivée, ils ne pensaient qu’à une seule chose : y revenir. C’était déjà une victoire pour nous autres. Alors que je me rendais sur le Tour de France à Hennebont et je croise Philippe Rimbaud ( Team Bonjour à l’époque). Je crois qu’il est l’un des seuls qui m’ait soutenu dès le début. Je ne le connaissais pas et il est venu vers moi pour me dire « Ton Tro Bro Léon, c’est une belle course, continue » Pour moi, c’était déjà une reconnaissance. Dernièrement, j’ai même rencontré des coureurs tels Damien Gaudin ou Flavien Dassonville qui venaient seuls, chacun des leur côté, reconnaître le parcours quelques jours avant la course. Je pense aussi à Laurent Pichon qui la désire tant (lire ici). Les mecs étudient chaque secteur car ils veulent vraiment inscrire leurs noms au palmarès. Cela prouve que c’est une course hors-norme. Damien l’a gagné, Flavien ou Laurent pas encore… »
« Les ribinous du Tro Bro Léon sont notre marque de fabrique, nous étions différents dans le calendrier français par rapport à ça »
Paris-Camembert et d’autres mettent des chemins de terre maintenant. Qu’est ce que ça vous fait de savoir que votre idée fait des émules ?
Jean-Paul Mellouët: « Il y en a qui sont venus me voir pour des conseils et je les ai soutenus. Tu vois une course comme le Loir et cher en mettre, c’est sympa car ça pimente la course et c’était aussi l’un des tronçons utilisés par Paris-Nice. On avait déjà fait des blagues avec les chemins de terre une année. Je me rappelle qu’un jour avec le GP d’Isbergues, on avait fait croire que les ribinous allaient faire leurs apparitions. C’était pour un 1er avril. Du coup, certains managers y ont cru et on commencé à râler car c’était trop dur. On leurs a montré la date et on a tous bien ri, une bonne blague. Mais sur Paris-Camembert, nous ne sommes pas un 1er avril et donc ça ne me fait pas vraiment rire. Les ribinous du Tro Bro Léon sont notre marque de fabrique, nous étions différents dans le calendrier français par rapport à ça. Maintenant, ils en veulent tous car c’est à la mode, on va devenir tous pareils si ça continue. Chacun doit trouver son âme et sa touche. Bientôt, tu vas voir, on va nous prendre notre traditionnel kig ha farz (rires). Je blague en disant ça mais parfois cela m’énerve un peu. »
Mais les chemins de terre étaient aussi là en Italie pourtant, bien avant le Tro Bro ?
Jean-Paul Melllouët : « Oui mais les italiens ont cette âme depuis longtemps. La « Strade Bianche » n’existe que depuis 2007 mais ils ont toujours eu cet esprit d’innovation et du respect de leurs terres. Les chemins de terre font partie de leur culture depuis longtemps par exemple. Tu les retrouves dans le Giro par ailleurs. Le tour d’Italie puise dans les racines de son peuple et son histoire pour créer sans cesse. Il est l’un des plus beaux tours que je connaisse et il innove tel un mouvement perpétuel. Je reste admiratif du cyclisme italien et de son esprit. »
Justement, le Tour de France ne va pas passer par les ribinous du Tro Bro Léon, un peu déçu ?
Jean-Paul Mellouët : « Non. La 1ère partie du Tour sera déjà difficile avec les pavés du Nord. Alors imagine si les coureurs devaient bouffer des ribinous juste avant ! Il y aurait beaucoup de dégâts. Je ne suis pas déçu et je comprends le choix d’ASO. On aura des étapes de plaines en Bretagne taillées pour un puncheur comme Sagan ou Philippe Gilbert, on assistera à des scénarios de ce genre plutôt mais le Tour se jouera vraiment dans le Nord avant de se décider définitivement dans la montagne. »
En plus d’avoir fait revivre les chemins de terre, vous avez aussi eu d’autres idées comme la présence d’un animal comme le mythique petit cochon…
Jean-Paul Mellouët : « (Il rigole) Oui, c’est venu comme ça, on voulait honorer le meilleur breton sur le Tro Bro Léon et on a trouvé l’idée du cochon. Mais un jour, Dan Craven a trouvé ça génial. Il a dit sur un site, le vôtre je pense (lire ici), qu’il rêvait de prendre le cochon du Tro Bro Léon. Ça a fait le buzz sur le net, tout le monde parlait du coup de notre cochon à travers le monde. Le souci, c’est qu’il était le symbole du meilleur breton et on a dû changer la donne. C’était un peu dingue et il est devenu notre symbole par la suite. L’un des vainqueurs comme le danois Martin Mortensen a servi d’affiche pour l’édition 2017. Il était assis sur un fauteuil avec le cochon à ses pieds. Il a adoré et l’affiche a refait le tour du monde. Maintenant, j’ai appris que certaines courses prenaient aussi des animaux en symbole comme une biquette. Mais bon, je commence à avoir l’habitude. »
Justement, on raconte que vous concevez vos affiches en vous enfermant dans votre cave toute la nuit et en écoutant du rock à grand coups de décibel ?
Jean-Paul Mellouet: « C’est vrai, je suis un fan de rock. J’en ai besoin et l’écouter m’aide à créer. Alors je m’enferme dans ma cave, la musique à fond et je regarde énormément de photos. Je sais que je vais trouver le « truc » qui fera la différence comme un regard, une pose, un moment bien précis. Et là, c’est parti, une fois l’âme trouvée, je me lance avec les Stones, Lennon ou les Pink Floyd comme accompagnateurs de mon trip ! »
Bon, les ribinous, le cochon, les affiches, quelle sera votre prochaine idée ?
Jean-Paul Mellouet: « Je ne vais pas te le dire, ça sera une surprise ! Mais pour l’édition 2018, il y aura vraiment une nouvelle surprise. En plus des trois ribinous que j’ai rajouté bien-sûr (rires). Si tu veux qu’une course survive, il te faut créer sans cesse. Je sais que les chemins de terre ne sont qu’un effet mode chez certains mais par chez nous ils seront toujours là, comme le cochon, les affiches et d’autres choses à venir encore. »
Ton 34ème Tro Bro Léon, une relève pourra t-elle prendre le flambeau un jour ?
Jean-Paul Mellouet: « Oui, je l’espère tout de même. On y pense déjà. Quand j’ai débuté, j’avais 34 ans et maintenant j’en ai le double, je te laisse imaginer, ça commence à faire un bail… Mais oui, il y aura une relève. Il nous faut des jeunes mais ce n’est pas évident car c’est du bénévolat. Ce truc vient des tripes, il faut se lever à 5h du matin souvent pour aller chercher les sponsors, régler les problèmes, trouver des idées de parcours et pleins d’autres choses pour ensuite aller au pieu tard la nuit. Mais dans le bureau, il y a des gars comme Éric Berthou qui est encore jeune. Il faut juste un peu de relève avec des gars comme lui pour perpétuer notre âme. »