On le surnomme « Mr.Paris-Roubaix » à l’étranger. Une gueule taillée à la serpe, des yeux clairs et perçants qui vous rappellent en un éclair que le bonhomme sait ce qu’il veut. Il fait parti de ceux qui ont fait rêver une nation, un peuple voire plus encore. Ces « putains » de pavés lui, il les caressait et les chérissait alors que tant d’autres nommaient ces derniers l’Enfer du Nord. Alain Bondue est à Roubaix ce que le vélodrome est à cette classique. Il est ce monument et fait parti pour l’éternité de la légende. Pourtant, lui le natif de cette ville n’a jamais eu son nom inscrit sur les légendaires douches en béton de ces gladiateurs car il n’a jamais remporté cette course. 10 ème en 1983, 3ème l’année suivante derrière le King Sean Kelly, Alain Bondue doit pourtant à Paris-Roubaix ce qu’il est devenu maintenant. Une première rencontre avec son rêve lui valut d’aller bouffer du pavé à maintes occasions, mais il finit tout de même 10ème. Il l’aime son « Paradis du Nord ».
Arrivé à 10 ans dans le vélo au club local du VC Roubaix en répondant à une annonce dans le journal local, il avait alors demandé à sa maternelle de l’accompagner jusqu’à ce club qui allait lui offrir son premier vélo. Grâce à eux, Alain Bondue a connu ses premiers coups de pédale sur cette piste que les champions franchissent chaque année après avoir côtoyé le diable durant toute cette sacro-sainte journée. À l’ombre des terrils, l’adolescent en a bavé. Il en a souffert en apprenant le job tous les jours sur ce vélodrome légendaire. À grands coups de pédales et de rictus de souffrance, il allait devenir ce double de champion du Monde de poursuite quelques années plus tard en 81 et 82. À 21 ans et après 75 victoires en amateurs, il passa pro au sein du team « La Redoute ». Il aura beau remporté 2 titres de champion du Monde sur piste, des étapes sur le Tour de France ou sur le Tour d’Espagne, des contre-la-montre sur le Midi Libre ou levé les bras sur les boucles des Flandres, il rêvait toujours de la plus haute marche de « Paris-Roubaix », là bas chez lui dans son Nord natal. Même après sa carrière de coursier, il resta fidèle à ce pays en devenant manager du team Cofidis de 98 à 2004 puis celui de Roubaix Lille Métropole. Il se surprend certains soirs d’hiver à rêver encore et toujours de cette classique qui vous transforme en cette gueule noire maculée de boue et de terril à l’instar des ces mineurs de ce pays du Nord, de cette ville qui devient capitale du Monde le temps de la plus grande des classiques. Il se rappelle de ce dimanche d’avril 1984 où il sortit en tête de la Trouée D’Arrenberg avec un Gregor Braun collé à sa roue. Non, rien ne peut lui enlever Paris Roubaix de son crâne, son rêve de gosse . Celui d’un gamin de Roubaix, âgé de 10 ans qui s’était pointé un jour de 1969 au VC Roubaix et qui allait devenir une légende de notre cyclisme tricolore tout autant que ces pavés qu’il chéri tant, ceux de « Mr Paris-Roubaix »!
Be Celt: Alain Bondue, Paris-Roubaix approche. Vous que l’on surnomme « Mr Paris-Roubaix », quels souvenirs en gardez vous et pourquoi ce surnom alors que vous ne l’avez jamais remporté ?
A.B: « C’est vrai que l’on me surnomme comme ça, surtout à l’étranger. je ne peux pas vraiment vous dire pourquoi sauf que l’aime tant peut être. Je l’ai faîte par 7 fois, j’ai fini une fois 3ème et on me surnomme « Mr Paris-Roubaix », c’est un véritable honneur de porter son nom.
» Je n’avais qu’elle en tête. Et je peux vous l’avouer, j’en rêve toujours aujourd’hui. »
Votre premier souvenir sur la Reine des classiques ?
A.B: « J’avais 9 ans, et mon père que l’on appelait « Riton » dans le vélo, m’avait emmené voir la course en 1968. On était là, debout à regarder ces champions avec ces gueules noires qui déboulaient sur l’avenue Clémenceau, avant d’entrer dans le vélodrome. Ce jour là, c’est le grand Eddy Merckx qui le remporta devant Van Springel et Godefroot. Devant mes yeux de gamin, Merckx était devenu mon champion, il le restera à jamais. Vous savez, cette course, tous les gamins de Roubaix l’ont vu et continuent à aller la voir. »
En quoi est-elle si spéciale ?
A.B: « Elle est notre histoire, notre fierté et nos souvenirs de gosses. C’est tout un peuple qui se soulève. Il suffit de voir ces gens en train de nettoyer la tranchée d’Arrenberg à coups de chalumeau pour désherber les pavés. Elle n’est ouverte qu’un jour dans l’année et ces gars la préparent dans ce but seulement. »
Et tant que coureur, vos souvenirs les plus marquants ?
A.B: « Vous savez, elle berçait ma saison cette classique. Je n’avais qu’elle en tête. Et je peux vous l’avouer, j’en rêve toujours aujourd’hui. Je n’ai qu’un seul regret, celui ne pas l’avoir jamais gagné. En 1983, je finis 3ème mais je ne suis pas déçu car j’étais sûr que j’allais la remporter les années suivantes. Malheureusement, cela n’est jamais arrivé (rires). J’ai encore ce souvenir qui m’a marqué. Cette année où je finis 3ème, mon mécano vient me voir après la course, et me dit: « Alain, tu as eu de la chance aujourd’hui ! » Mince, je ne la gagne pas et il me sort cette conclusion. Dubitatif, je lui demande: « Pourquoi ça ? » Il me fait: « Tu avais un fourreau de fourche cassé. » Je me souviens alors qu’il avait raison. Durant le final, je pensais avoir percé à l’arrière. J’arrêtais pas de me retourner pour vérifier mais le boyau était gonflé. J’avais un mal fou à maîtriser mon vélo. Tu m’étonnes, j’avais un fourreau de cassé, j’aurais pu chuter et finir loin du podium cette année là, j’ai effectivement eu de la chance ! «
« Paris-Roubaix, c’est une course hors du temps »
Vous avez remporté des titres mondiaux sur piste, des étapes sur la Vuelta, le Midi Libre, sur le Tour de France… Entre ces victoires et cette 3ème place à Roubaix, qu’elle est la plus marquante ?
A.B: « Sans hésiter ma 3ème place sur Paris-Roubaix. Rien ne peut être plus beau que ça. C’est une course hors du temps. Il y a le Tour de France, mais ce sont des passionnés qui longent le bord des routes. Ici, à Roubaix, c’est toute la ville, tout un pays qui vient voir ce qui est une tradition par ici. On vient à Paris-Roubaix comme à la messe. Mon Enfer n’a jamais été à Paris-Roubaix. Le mien c’était le tour de France si difficile avec les étapes à la « Lévitan » et parfois 6 cols à franchir durant la journée. Ça c’était mon enfer, mais jamais Paris-Roubaix. C’est bien plus qu’une classique, elle représente tant de choses pour nous autres. Quand tu fais Paris-Roubaix, tu n’as plus d’ami. Je me rappelle comment j’étais quand je roulais sur ces pavés que j’aimais tant. Un véritable chien fou. C’était mon paradis, chez moi qui plus est. Je me souviens d’un jour où je frottais dans un secteur pavé, je n’avais pas hésité à jouer et parfois pousser des épaules contre Francesco Moser. Il m’avait lancé alors un regard noir mais j’en avais rien à fiche, c’était ma course et il fallait se battre. il fallait que je sois en tête. »
Selon vous, pourquoi Paris-Roubaix est elle devenue la plus mythique des classiques ?
A.B: « Elle est magnifique et passe par tous ces secteurs pavés. Elle traverse un pays et son histoire. De plus, ce n’est jamais n’importe qui cette course, il faut être un véritable costaud pour l’accrocher. Et c’est aussi une course qui se joue avec de la chance car il peut y avoir une chute à chaque virage, sur chaque secteur pavé.. Pour l’instant, elle est la plus mythique mais c’est vrai que le Tour des Flandres est pour l’instant moins diffusé dans le monde que Paris-Roubaix. Pourtant, le Tour des Flandres être peut-être plus dur avec ses montées pavés comme le vieux Kwaremont. Vous avez vu cette foule sur ces difficultés ? C’était incroyable ! Paris-Roubaix a su se médiatiser très tôt aussi. Elle a très bien su se vendre dans les journaux et télévisions du monde entier. Mais désormais le Tour des Flandres rattrape son retard et elle pourra être bientôt l’égal de Roubaix en terme de diffusion. »
« Ce qu’il manque aux Français c’est la volonté de le faire et celle d’y croire »
Quels sont vos favoris pour dimanche?
A.B: « Il y en a tant mais deux retiennent mon attention. Tom Boonen et Peter Sagan. Tom Boonen a remporté 4 fois Paris-Roubaix. C’est sa dernière année en plus. Il va tout donner. Le souci, c’est mon cœur me dit qu’il ne faut pas qu’il gagne (rires).
Pourquoi ça ?
A.B: « Mon ami Roger De Vlaeminck l’a aussi remporté 4 fois. Il est à égalité avec Tom Boonen et si Tom gagne, Roger ne sera plus le recordman de l’épreuve. Roger avait ce « touché » du pavé si particulier, il volait sur ces portions. Même si je serais content pour Tom, j’aurais un sérieux pincement au cœur car j’ai et j’aurai toujours cette affection pour Roger, mon ami. «
Peter Sagan donc..
A.B: « C’est un génie. En plus d’être un grand champion qui peut tout gagner, il rajeunit le cyclisme, il donne envie aux gosses de venir faire du vélo. C’était devenu tellement si sérieux ces dernières années chez les coureurs avec la pression des sponsors sans doute. Ils déconnaient plus les gars, s’en était quasiment ennuyeux tant ils étaient sérieux. Et Sagan nous est arrivé avec ces victoires, son tempérament, ses vidéos un peu folles et son savoir-faire et sa maîtrise des outils de communication, il apporte un grand bol de fraîcheur . À mon époque, ça rigolait sec dans le peloton. Je me souviens que Roger et moi-même avons aimé aussi faire les cons sur les courses. Quand on était sur les 3 jours de la Panne par exemple et qu’une portion de pavés arrivait, on remontait le peloton le nez dans le guidon juste pour nous mesurer chacun à l’autre. Tout le monde pensait qu’on allait faire péter la baraque mais on voulait juste se mesurer tant on les aime ces pavés et puis on rigolait de ce duel à la fin du secteur. Tu fais ça maintenant, c’est plus la même chose que t’entendras dans les oreillettes (rires). »
Pensez vous qu’un jour un Français puisse de nouveau remporter Paris-Roubaix?
A.B: « Oui je le pense. Ce qu’il manque aux Français c’est la volonté de le faire et celle d’y croire. Il y a de sacrés bons Français mais sur les Flandriennes ou autres, ils sont encore un peu tendres. Un exemple sur Het Volk. Ok, il fait froid, il flotte mais les Néerlandais sont là chez eux et ils en veulent vraiment face aux Belges. Les Français, tu les reconnais sur la course. Ils sont habillés chaudement, équipés version grand froid et quand la course commence à chauffer et justement sur le Het Volk ça chauffe très rapidement, tu vois les Français qui abandonnaient un par un. Sur les derniers vainqueurs Français, ils avaient cette envie folle de gagner. Je ne connais pas bien Frédéric Guesdon mais je suis très ami avec Marco (Marc Madiot) et Gilbert (Gilbert Duclos-Lassalle). Ils avaient ce regard durant la course, ils n’entendaient personne durant ce moment, ils avaient la rage. Un jour Marco m’a fait un compliment qui m’a touché. On lui avait demandé à quoi il pensait durant la course. « Dans le final, j’ai pensé au « Grand » ! » c’était mon surnom dans le peloton. Ça m’a beaucoup touché. »