Avec une gueule taillée à grands coups de serpe comme un Peter Garett (chanteur des Midnight Oil), un regard clair qui vous transperce comme une lame de couteau et qui vous « capte » au premier coup d’œil, John Gadret est l’un des plus émérites des coureurs tricolores. Né en Champagne il y a 37 ans, il en a hérité la passion pour la terre, celle dont les vignes d’Epernay vont chercher au plus profond pour donner le meilleur du Champagne, vous savez ce mélange de vins pétillants qui vous enivrent et qui vous fait danser jusqu’à tard dans la nuit!
Il est de cette terre, et ui aussi nous a fait danser, nous enivrant de bonheur quand il bataillait sec, mâchoire serrée, les yeux fixés sur la ligne d’arrivée de ce Giro d’Italia 2011 en haut de Castelfidardo pour l’emporter malgré les plus de 10 % de pente. Cette année là, il permit à la France de retrouver le podium d’un grand tour en terminant 3 ème du général. Les derniers Frenchies à y inscrire leurs noms étaient Laurent Fignon en 89 (1er) et Charly Mottet (2ème) en 90. On pouvait péter le champagne de sa terre natale !
Ce Giro, il en connaît tous les moindres détours, tous les cols, il s’y classa même plusieurs fois dans les premiers durant les étapes de grandes montagnes! Il décrocha aussi 2 fois un top 20 sur le Tour de France, dont une belle place de 19 ème en 2014. Bref, ils sont très peu nombreux les Français a avoir ce palmarès, il aurait pu devenir ce fier coq comme tant d’autres savent s’en orgueillir, mais John Gadret n’est pas le genre de bonhomme à s’enflammer, ni à se la « péter », c’est un pro, un guerrier! Bien au contraire, il se donne corps et âme à ses leaders comme il le fit avec Christophe Moreau pour AG2R et ensuite Alejandro Valverde et Nairo Quintana pour Movistar.
Car dans la tête de ce guerrier, il y a le cyclo-cross, cette monture qu’il a appris à chevaucher depuis à l’âge de 5 ans. Cette discipline extrême, pratiquée dans les sous-bois ou sur des terrains boueux, so « dirty » comme le chemin des Dames qui vous emmenez à la bataille des tranchées. Et dans la boue, les talwegs, et ses « putains » de tranchées, le Champenois est un soldat de première ligne plusieurs fois médaillé, plusieurs fois reconnu. Double champion de France de la spécialité (2004 et 2006) et plusieurs podiums à son actif, il est un digne fils de la terre, ambassadeur de ce sport chère aux Français mais boudé par les médias et équipes de ce pays!
Après 13 ans dans le milieu pro, 17 ans après ses premières belles victoires sous le VC Roubaix, le « Tatoué » se lance un ultime défi avec son compagnon d’arme et ami Steve Chainel. Rien de plus que de faire bouger les choses dans ce cyclo-cross à l’agonie en France. « Cross Team By G4 » se nomme cette « last mission » de la dernière chance, celle qui peut encore sauver le cyclo-cross tricolore. Tel les derniers Mohicans aux sons des violons de « Premontery’, le chant des guerriers, ils vont se livrer à toutes les batailles, jetant leurs forces, leurs rages pour sauver ce clan des « crossmen », au nom de tous les siens, ces fils de la terre !
John Gadret, vous mettez un terme à votre carrière de routier pour ne faire que du cyclo-cross avec le team « Cross Team By G4 », pourquoi ce choix?
John Gadret: « J’ai fait le tour de la question sur la route, et maintenant, je ne veux me consacrer qu’au cyclo-cross. Quand Steve Chainel qui est mon ami, m’a demandé de les rejoindre, j’ai dit oui car il me parait impératif de faire bouger les choses établis.
Il y a quelques années, on pouvait encore faire la route et le cyclo-cross. Mais maintenant, c’est impossible de faire les 2 en même temps, c’est devenu incompatible. Désormais, ce sont des spécialistes qui font ce sport comme les Belges, les Néerlandais, les Américains etc.. On n’est plus à l’époque du dernier champion du Monde Français Dominique Arnould, le dernier par ailleurs! Si on veut marcher dans le cyclo-cross Mondial, il ne faut se consacrer qu’à ça, rien d’autre!
Je pense notamment à Matthieu Boulo. Il a vraiment un réel potentiel mais en allant chez les pros routes, il a perdu 2 ans. Surtout l’année dernière où on lui a interdit de faire du cyclo-cross, et quand on voit le résultat qu’il a reçu, je pense qu’il devrait se consacrer qu’à ça, il est vraiment fort. »
Pensez vous que le cyclo-cross tricolore est en danger ?
J.G: « Oui, un peu. On n’a pas vraiment non plus de structures adaptées contrairement aux autres pays. La FFC devrait chercher des financements pour sauver ce sport ici. Je prend pour exemple que lorsqu’un organisateur est d’accord pour organiser un championnat de France, là il y a du monde. Mais quand il s’agit de donner un coup de main pour faire venir des cracks quand il faut aider sa propre course plus tard, là il n’ y a plus personne. Il nous faut nous mobiliser tous ensemble! »
Vous pensez à Lanarvily qui vous a couté votre sélection ?
J.G: « Oui aussi. Mais je savais à quoi m’en tenir, c’était mon choix. J’avais promis à Patrick Le Her d’y être et j’ai tenu parole. Je comprends que la fédé envoie leurs coureurs sélectionnés à la coupe du Monde, ils pouvaient se juger avec les meilleurs mondiaux, mais en même temps je me dis que Lanavily aurait tout aussi été parfait pour une belle répétition générale avant les mondiaux. Du coup, les bénévoles tricolores se sentent un peu seuls et ca peut faire couler une belle épreuve, il y en a beaucoup qui n’existent plus comme celui de Plougasnou. Quand on en aura plus, faudra pas s’étonner! »
Vous avez mis un terme à votre carrière route, pourquoi ce choix ?
J.G: » Comme je vous l’ai dit, j’ai fait le tour, plus ou moins désabusé envers certains, mais je ne suis pas aigri, j’ai tourné la page et je prépare ma reconversion. Maintenant, je ne veux faire que du cyclo-cross. On n’avait pas de team comme Cross team by G4 en France, c’est le premier. Steve a monté un projet osé et ambitieux, et lui donner un coup de main pour cette idée me parait vraiment normal. »
Vous n’avez pas reçu de proposition avant de décider à mettre un terme à la route ?
J.G: « Si, Fortunéo Vital Concept. je les avais contacté et on était en discution durant 2 mois. Tout se passait bien mais malheureusement alors que je pensais que l’on allait conclure, ils ont préféré Francis Mourey. Quand je l’ai appris, on était fin octobre, c’était foutu pour trouver un autre team tricolore. J’ai reçu des propositions d’autres teams notamment de Pologne mais moi ce que je voulais, c’était finir ma carrière en France, j’était vraiment déçu. »
Vous êtes le dernier Français a être monté sur le podium du Giro, que gardez vous de votre aventure AG2R ?
J.G: « Des bons souvenirs bien sûr. J’ai travaillé pour des grands champions comme Christophe Moreau, j’ai fait de belles épreuves et je garde mon meilleur souvenir de coureur cycliste avec ma victoire sur la 11ème étape du Tour d’Italie et ma 3ème place au général en 2011! »
Puis l’aventure Espagnole Movistar…
J.G: « Là j’ai vécu un rêve. Je me rappelle encore quand on m’a appris que Movistar voulait me recruter, je n’y croyais pas, c’était hallucinant. J’ai vécu mes 2 plus belles années. Avec les Espagnols, c’est un autre monde, ils m’ont offert 2 ans de bonheur auprès de Valverde et Quintana, des grands bonhommes, de grands champions, servir à leurs côtés a été un grand honneur, j’ai beaucoup appris avec eux, comme si je débutais une nouvelle carrière pro. »
Quelle différence entre un team Français et Espagnol ?
J.G: « Pas mal de choses. En France, on parle diététique et plein de choses comme ça. Mais dès que l’on est pas au top de sa forme ou malade, on ne vous fait plus confiance et on vous jette au dernier moment. En Espagne, au contraire on vous fait confiance. Quand vous n’êtes pas en forme, on vous met en repos et ils cherchent à comprendre. Pour eux, ce n’est pas grave, c’est juste un mauvais moment. Ils vous font confiance totalement et ils vous le disent. On s’y sent bien et du coup on veut tous donner le meilleur. Comme je vous l’ai dit 2 années de bonheur pur! »
Et maintenant retour au cyclo-cross avec Steve Chainel, quels sont les objectifs de Cross Team By G4?
J.G: » Faire la première équipe de cyclo-cross Français. Et ça, avec des coureurs nationaux. On verra ce que cela va donner mais je pense que c’est vraiment une bonne idée. On a des partenaires comme G4 de Geoffroy Lequatre, Chazal et d’autres mais il faudrait plus d’investissseurs. On peut faire un énorme truc en France et ailleurs quand on voit comment le cyclo-cross est de plus en plus exposé à l’étranger. Mais pour aller faire ces courses nationales et internationales, il nous faut de l’argent, c’est le nerf de la guerre. Quand je vois le nombre de médias ailleurs qui suivent ces courses, je me dis que l’investisseur sera vite fait récompenser. Et ensuite, on pourra vraiment se faire plaisir. Et tout le monde sait que lorsqu’on se fait plaisir, on peut déplacer des montagnes ! »