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Il a été l’un des plus talentueux coureur du milieu des années 80, lieutenant d’un des plus titrés des champions en la personne du « King » Sean Kelly puis ensuite de Laurent Fignon chez Système U. Joël Pelier , 53 ans cette année, a remporté de belles étapes sur les plus grandes courses comme Paris Nice ou sur le Tour de France à Futuroscope après 180 km d’échappée. Des victoires cherchées avec le rictus de la souffrance qui déformait sa « gueule de beau gosse ».
Rebelle, il l’était sûrement, avec cette sensibilité à fleur de peau, un caractère à se retrouver plutôt dans un groupe de rock a y éclater les amplis à grands coups de guitare, mais le Vicomte Jean de Gribaldy, son père spirituel, a croisé son chemin. Et ce fut l’aventure ! Et pas n’importe laquelle. 6 ans chez les pros, il aurait pu continuer à en taper encore quelques unes mais à quoi bon? Après avoir fait le tour de la question, à 29 ans, il s’en est allé vers d’autres destinées, surtout celle de s’occuper de ses 5 enfants. Le sport cycliste, il lui tant donné, il est passé par tous les chemins, toutes les embûches, a chuté dans tous les sens du terme, s’est relevé tout comme l’avait appris le sport pro, cette école de la vie! Son havre de paix, il l’a trouvé dans sa Franche Comté natale, à Dampierre sur Linotte, loin du cyclisme, mais tous près de ses sculptures dont il expose désormais ses œuvres. Le vélo, l’artiste ne le suit que de loin, comme ça au hasard de la lucarne de la télévision. Parfois il lui arrive de se rappeler de ces années de champion, juste parfois seulement, allongé dans le jardin , entre ses sculptures, à contempler le temps qui passe.
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Be Celt: Joël Pelier, le vélo est-il rangé définitivement au fond du garage ?
Joël Pelier: » Oui, je ne le pratique plus du tout, sauf peut être quand je me ballade dans la forêt voisine avec ma femme, et je ne le regarde que très rarement à la télévision. Je ne parle pas de vélo car je n’ai pas un regard objectif sur celui actuel, je ne suis plus dans le coup contrairement à Sean Kelly ou Bernard Hinault qui y travaillent encore beaucoup. Ca serait farfelu de ma part de l’ouvrir. De temps en temps, je me souviens et on en parle mais ça s’arrête là. Dernièrement, je me suis rendu à l’anniversaire de mon ami Bernard Hinault, il y avait quelques anciens comme Bruno Cornillet, Stephen Roche, Joop Zoetemelk, on n’était pas nombreux et ça m’a fait du bien de revoir tous les potes de l’époque. »
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Quels sont vos meilleurs souvenirs ?
J.P: » Mes meilleurs souvenirs ? Un peu de tout, mes victoires bien sûr, mon temps passé auprès de Jean De Gribaldy surtout. Mais si un souvenir m’ a marqué, ça serait ma sélection avec l’équipe de France en 1986, le capitaine c’était Bernard Hinault et travailler pour lui était un véritable grand moment, c’est un grand mec, un vrai patron et le fait qu’il m’ait choisit cette année là, c’ était un grand honneur. Ca serait celui là mon meilleur souvenir cycliste pro en premier lieu. Etrangement je me souviens, peut être rapport à ce que vous soyez un site d’origine Irlandaise, mais ma victoire à Cork durant le Tour d’Irlande m’a laissé un bon souvenir. Dans cette maudite côte de Sainte Catherine, je suis en tête avec 10 sec d’avance et je garde cet écart tout le long de la montée avec un groupe de chasse mené par Kelly, Roche, Kimmage, Lemond et d’autres pointures, je l’emporte à l’arrache mais qu’elle était belle cette victoire! Un bon souvenir d’Irlande. Je crois que les gars qui l’emportent en haut de Cork, à gauche après Sainte Catherine, garde un souvenir incroyable. »
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Le tour de France, vainqueur d’étape en 1989, étapes sur Paris Nice et lieutenant fidèle à Sean Kelly en 1985
J.P « Oui, je remporte la 6ème étape en 1989 avec le team B-H, mais c’est vrai qu’avant j’ai appris le tour avec Jean de Gribaldy et Sean Kelly, il avait un palmarès impressionnant le « King » comme vous l’appelez là bas, il gagnait tout, un grand champion et il fallait être à la hauteur de l’équipe! Et Sean savait aussi rendre la pareille et travailler pour ses équipiers comme pour ma victoire sur Paris Nice. En plus le cyclisme était différent à l’époque, c’était des tours de France à la Félix Lévitan, des saisons de fous à courir toute l’année. »
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Des tours de France à la Lévitan ?
J.P: » Oui, ce que je veux dire, ce que les étapes étaient parfois vraiment longues, on pouvait franchir 8 cols en une seule étape et se bouffer 300 km le lendemain, comme celle entre Poitier Bordeaux. A cette époque, on se devait de faire toute la saison, courir les classiques et les tours. Et il fallait rouler pour pouvoir être devant. Dans l’année, ça représentait au minimum 50 000km dont 170 jours de courses. Je ne sais pas si les coureurs font ça maintenant, j’en sais rien. »
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Quel bilan tirez vous de ces années de champion ?
J.P: » Des moments forts, intenses, heureux, durs, tristes, un tout. Une belle école de la vie. Je dois beaucoup au Vicomte Jean De Gribaldy (disparu en 1987 ). Il a été plus qu’un manager pour moi, il m’appris cette école, ces règles de vie. Quand il m’a découvert, il m’a montré qui je pouvais être et j’espère que je le suis devenu maintenant. Je n’ai rien gardé de mes trophées, ni maillots, mais j’ai la photo de Jean De Gribaldy chez moi et pas n’importe où, elle trône dans mon atelier, dans mon cœur, je pense à lui tous les jours. Ah si! j’ai gardé le cristal de ma victoire à Cork, je ne sais pas pourquoi j’ai conservé celui, là, il me plaît ce souvenir, une petite place dans mes souvenirs. Sinon, on a tous nos anecdotes, nos petites histoires. »
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Comme celle de votre légendaire prise de bec avec Bernard Hinault ?
J.P: « J’ai gagné des belles étapes, de belles courses mais les gens n’ont retenu que ça. Ca me colle encore à la peau, c’est dingue. Alors pour m’expliquer à ce sujet, la veille on avait bien dégusté avec les cols, une étape dure qui avait laissé de terribles traces traces. Les grands chefs du peloton s’étaient mis d’accord pour faire l’étape du lendemain tranquille, histoire de récupérer. Moi, j’étais néo-pro chez Skil Sem. On en m’avait pas parlé de cet accord entre boss, j’en savais rien et du coup j’ai attaqué très tôt. Soudain, je sens que l’on m’accroche le maillot, et pour un coureur quand on lui fait ça il voit rouge. C’était Bernard Hinault qui venait me passer une soufflante. Je luis dis ok, mais j’avais les boules! En plus Jean Marie Le Blanc qui était directeur du journal L’Equipe était derrière en voiture. Il me dit « Dis donc, petit, tu t’en ais pris un bonne soufflante! » Et moi je lui réponds avec la fougue de la jeunesse : « Hinault, je l’emmerde! » Et boum, le lendemain la presse ne parlait plus que de ça. Inutile de dire que c’était légèrement tendu entre Bernard et moi les jours qui ont suivit. On s’est expliqué loin des caméras et des micros, et l’année suivante il me prenait pour le championnat du Monde, vous croyez qu’il aurait pris un mec qu’il n’aurait pas pu encaisser ? 30 ans après, on est toujours ami et je l’estime énormément ! »
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Ensuite vous décidez de mettre un terme à votre carrière à 29 ans
J.P: « Exact, j’étais en Espagne, j’avais passé quelques temps auparavant avec Système U de Cyrille Guimard. Quand j’ai quitté Le Vicomte, j’ai eu de la peine. Je l’ai consulté avant de prendre cette décision, il m’a dit d’y aller et que c’était une nouvelle expérience pour moi. Je suis parti chez Système U mais je n’ai pas retrouvé cette ambiance que j’avais chez KAS, je n’étais pas vraiment heureux. Ensuite je suis parti chez BH. et B.H Amaya Seguros et là je me sentais bien. Hélas, je chute lourdement sur le Tour d’Espagne. Je reste 20 jours bloqué dans une coquille, vingt jours c’est long, très long et on a le temps de penser, de cogiter ! On réalise que l’on est peu de chose et que tout tient sur un fil. Le sportif pro, c’est comme un kleenex, une fois servi et bien utilisé, on le jette. Mais j’avais senti le coup venir et j’avais déjà préparer ma reconversion, j’avais pas mal de contacts et il était temps de les faire fonctionner. En plus, il fallait que je m’occupe de mes enfants (5 enfants) après le décès de mon épouse. J’avais 30 ans, il était temps que je me batte pour les miens. »
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Comment êtes vous arrivé à devenir artiste sculpteur ?
J.P: « En premier lieu, je n’ai pas pensé me diriger vers la sculpture. J’ai débord travaillé pour la région de Franche Comté, pour un groupe de réflexion sur la reconversion du sportif de haut niveau. J’ai fait ça durant 2 ans. Un projet vraiment bien fait avec le Dr Nicolet, un Franc Comtois, qui était médecin du Tour de France. La Franche Comté est une terre de grands champions et il fallait penser à leurs reconversions, les guider dans leur nouvelles vies. Ensuite, petit à petit, je me suis dirigé vers ma première passion: la sculpture. Je n’ai pas fait les beaux arts, je suis autodidacte, ça m’arrange car je n’ai pas d’ordre établi, je crée sans avoir de limites bien définies, c’est plus un atout qu’une faiblesse je pense. Je marche avec le cœur, la passion, à l’instinct. Tout le monde peut faire ce dont à quoi il rêve je pense. On a tous quelque chose en nous, bien enfoui. J’agis toujours avec mon cœur, mes tripes, c’est comme cela que je fonctionne depuis toujours, avec cette sensibilité à fleur de peau.
J’ai d’abord fait dans la sculpture artisanale, il y a 7 ans, je faisais toute sorte d’objet sur la demande de mes clients . Mais depuis 3 ans, je suis rentré dans une démarche purement artistique, c’est à dire que je crée mes œuvres, celles qui me ressemble, avec un thème comme l’épanouissement et la plénitude dans le temps. J’avais besoin de me lancer dans cette démarche! Un besoin vital. »
Ca change du monde sportif
J.P: » Je ne sais pas, je n’y ai pas réfléchi vraiment. Je pense qu’il y a des similitudes. Quand je crée un œuvre, entre l’ébauche et la naissance, je me lance à fond aussi bien physiquement que spirituellement. Il y a cette notion physique dans la création, je suis rincé à la fin, sur les rotules, comme je l’étais quand j’étais coureur, je donne toute ma passion. Il y a des similitudes entre ces 2 mondes, mais dans le sport, quand on est fort on a de la chance d’être en haut du podium, dans l’art vous pouvez être très fort , mais ce n’est pas pour ça que vous serez reconnu, que vous serez en haut, il faut un facteur chance pour cela, et je ne l’ai pas encore eu! »
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Cette passion de la sculpture, comment est elle venue ?
J.P « Ca fait longtemps je pense. Un ami m’a fait souvenir que lors de nos années d’ados, je créais déjà des guitares factices dans le bois pour faire semblant de jouer du rock. J’ai toujours aimé sculpté et maintenant que mes enfants sont casés, je me suis lancé à corps perdu dans cette aventure, avec cette passion qui me dévore et qui me fait rêver, j’ai besoin de cette adrénaline qui vient de cette passion. On dit qu’un adulte créatif est un enfant qui a survécu, je suis content d’être un enfant alors ! J’ai surtout la chance d’avoir une femme compréhensive à mes côtés, elle me soutient dans mes aventures de rêveur et c’est vraiment important ce soutien. »
Jamais d’œuvre qui traite du thème sportif ?
J.P: « Non, je n’ai jamais pensé vraiment à faire un coureur cycliste en sculpture. On retrouve peut être le côté sportif car mes personnages ont souvent les bras levé vers le ciel, comme pour la victoire. J’aime bien cette incantation au ciel, ce signe de victoire, c’est assez spirituel, voire religieux parfois! Mais j’ai des projets dans ce domaine, j’aimerai apporté une vision pour un événement sportif.
Quand je crée un œuvre, les gens la contemple avec leurs propres visions. Ils ne savent pas que j’étais coureur, c’est l’artiste qu’il regarde. Pour moi, c’est important cette relation avec la personne, sa lecture de la pièce, de l’œuvre. C’est pour cela que je ne baptise jamais mes sculptures. Quand je vends une création, il est important que l’acheteur est une réelle vision, par forcément la même que la mienne, mais qu’il est ce coup de foudre. Justement, j’aime bien savoir ce qu’elle ressent, même si ce n’est pas le message que je voulais transmettre. Parfois, si je sens que la personne n’a pas cette fusion avec la pièce, je ne la vend pas, je préfère la garder que de la voir rangée dans un coin ou sur une table, juste posée comme ça! « .
Vous avez offert une de vos œuvres à Bernard Hinault justement !
J.P: » Exact, quand il m’avait invité pour ses 60 ans, je lui ai offert une de mes œuvres. Bernard est un grand type, et je lui devais de lui rendre hommage comme je l’avais déjà fait quand le Tour de France était passé en Franche Comté il y a 2 ans. Je lui avais remis une œuvre sur le podium du Tour, et il en était resté bouche bée. Ca m’avait vraiment touché sa réaction, le « Grand » ne savait plus quoi dire! »
Vous exposez ?
J.P: « Oui, j’ai exposé à Paris Bercy en 2013, et là je prépare une grosse exposition pour la 1ère semaine d’Août dans un golf près d’ici. Sinon, j’ai exposé à la Frontière Franco-Suisse, aussi en France, ca commence à voyager un peu. Dans une semaine, j’organise une porte ouverte de mon atelier le 6 et 7 juin, ici à Dampierre sur Linotte. Il y a même des anciens amis du peloton qui viendront comme Bruno Cornillet. Je suis toujours ouvert, et si les gens veulent passer me voir, voir mes œuvres, je serais heureux de les recevoir. On a toujours peur de passer voir un atelier d’artiste, mais ici vous êtes les bienvenus. »
Pour découvrir les œuvres de Joël Pelier: www.joelpelier.com